29/05/2013
Pendant la pratique, nous augmentons, nous développons, nous éveillons notre attention, notre état de vigilance.
Notre attention se centre sur le corps, se fixe sur les différentes perceptions sensorielles et de ce fait cesse de participer au processus d'identification.
Ce processus d'identification est le processus par lequel nous créons l'idée d'une origine pensante, d'un centre pensant, d'une certaine forme d'entité abstraite qui serait ce que nous appelons la personne.
Ce processus très automatisé nous empêche en temps ordinaire de le démasquer. Toute la chaîne d'associations qui est activée au moment où nous ressentons une perception s'est construite depuis des temps très anciens et il ne faut que quelques millièmes de secondes pour que, de la simple perception, apparaisse le sujet qui pense ressentir. Ce n'est pas une perception qui traverse un ensemble Corps/Esprit, cela devient un sujet qui interprète une perception et donc la colore, la transforme, comme pour s'alimenter et se substanter de ce phénomène neutre au départ.
La question humaine de savoir d'où nous venons, présente depuis la nuit des temps, est posée par des personnes et concerne donc l'existence de sujets (prétendus tels) à la recherche d'une causalité de leur présence, alors même que cette présence se trouve erronée, pensée, inventée, créée par leur mental.
Comment répondre à une telle question qui ne repose que sur un malentendu fondamental ?
Cette question renvoie de fait à une autre que nous ne nous posons jamais ou rarement et qui est l'Essence même de notre pratique à savoir : la notion de personne ou de sujets est-elle pertinente ? La personne existe-t-elle substantiellement ? Est-ce quelque chose ? Et si oui, qu'est-ce que c'est ?
C'est cette question fondamentale que l'ensemble Corps/Esprit pose en venant s'asseoir sur un coussin, en cessant toute activité, toute agitation et toute pensée.
Vivre l'espace intérieur non comme le contenant d'un JE qui ressent des perceptions dans « SON » corps, mais comme le vaste lieu de l'Expérience du Vivant, le lieu traversé sans cesse par les phénomènes, par les changements, sans pour autant construire de pensée d'une identité qui exercerait un quelconque contrôle sur ces phénomènes.
Voilà le sens de notre pratique.
30 juin 2013
Si nous observons le mode d'existence que nous partageons avec nos frères et soeurs humains, probablement percevrons-nous un mode de fonctionnement qui nous est commun, et qui a un rapport avec la satisfaction, le besoin de sécurité, la recherche du bonheur.
Il y a bien sûr de grandes variations entre les peuples. Nous voyons cependant aujourd'hui les pays émergents adopter un modèle identique à celui que nous connaissons chez nous.
Il s'agit de produire des richesses et d'assurer ainsi la satisfaction de nos besoins. Nous savons pourtant bien que cette satisfaction n'est pas linéaire mais a tendance à se déplacer, un peu comme un horizon qui s'éloigne au rythme de notre avancée. Ne confondons-nous pas souvent nos besoins avec nos désirs ?
Avec le temps, s'installe une certaine habitude. Nous parvenons à préserver une relative tranquillité d'esprit, un minimum de conflits intérieurs. Ce modèle imprègne progressivement l'éducation dont nous entourons nos enfants et il devient difficile de laisser éclore une pensée indépendante et critique, une pensée qui regarde sous les apparences.
Au fond que faisons-nous ? En ménageant un espace d'apparente liberté et de confort, nous réduisons du même coup notre indépendance, c'est à dire que nous nous privons de la possibilité d'exister indépendamment de la satisfaction de notre demande. Ce que nous gagnons en liberté, nous le perdons en indépendance. Nous avons augmenté la part conditionnée de notre existence. Il y a cette Loi incontournable que toute avancée, tout progrès comporte deux faces : c'est quelque chose de gagné par rapport au milieu contraignant et en même temps quelque chose de perdu par rapport à notre liberté fontamentale, celle d'être sans avoir.
Nous avons cette formule de Suzuki : "cela peut être une très mauvaise nouvelle d'apprendre que vous venez de gagner un million de dollars !".
Aujourd'hui, un combat prend forme. Certains esprits s'élèvent pour s'indigner devant tous les problèmes que le modèle moderne de consommation entraîne sur les esprits et aussi sur l'environnement. Il y a une idéologie montante qui tend à vouloir construire un modèle à la fois plus égalitaire et moins destructeur. Nous voyons deux pôles s'affronter.
Notre pensée se mobilise et cherche une solution à cette situation complexe. Sous la Révolution française, les faibles se sont levés contre l'oppression de la Noblesse qui conduisait à l'exploitation et à la famine. Aujourd'hui, nos automobiles menacent la vie fragile des paysans népalais par la fonte des glaciers de l'Himalaya. C'est tout un système de fonctionnement qui est devenu oppresseur pour les plus faibles.
Se pose la question du sens, qui resurgit de façon criante. Sens de cette situation, sens de l'équilibre, sens du partage, sens de la raison, du bon sens, etc .... Comme parfois se pose à nous la question individuelle de savoir où nous allons et si tout ce que nous faisons au quotidien a un sens, se pose ici de façon collective cette même question.
Au-delà de la recherche d'une idéologie qui nous inciterait à combattre des idées au nom d'idées nouvelles et justes, la pratique nous invite à comprendre nos mécanismes, ceux-là mêmes qui conduisent là où nous en sommes.
Au coeur de la pratique, nous quittons le monde des formes extérieures et des turbulences qui agitent notre mental. Nous quittons les opinions et les contradictions, nous quittons les constructions mentales qui opposent et nous éloignent de notre coeur. Nous n'oublions rien pour autant, il ne s'agit pas de se retrancher dans une bulle. Là est le paradoxe de la pratique qui n'est qu'apparent. Nous nous relions à notre corps et nous devenons totalement conscients de tous les phénomènes qui sont présents en nous. Nous nous relions à une autre forme de connaissance, celle qui est déjà là et ne dépend d'aucun raisonnement, d'aucune réflexion, d'aucune élaboration. Là est notre coeur pacifié et connaissant qui ne vise rien et ne cherche rien.
Au coeur de la pratique, au coeur de notre Etre, nous ne fixons notre esprit sur rien de spécial, bien que nous soyons traversés par une multitude de perceptions, de sensations et de produits mentaux, de contenus divers et colorés. Ce n'est pas que nous ne souhaitions pas en tenir compte, nous en tenons au contraire totalement compte. Fixer notre esprit sur rien signifie ne se reconnaître dans aucun des phénomènes. Si sur la scène intérieure se joue l'attirance pour le plaisir, il n'y a personne pour se reconnaître comme désirant. Si apparaît la peur, il n'y a personne pour être apeuré. Cela ne tient pas au fait d'ignorer ce qui se manifeste, cela tient au fait d'en considérer l'aspect phénoménal. Notre attention brûle souvent cette étape première de la perception. Il y a apparition d'un phénomène révélé par les sens mais ce que nous en percevons est transformé par notre subjectivité, coloré. La pratique consiste à revenir à la capacité d'être dans une position de témoin par rapport à la scène des perceptions, sensations et activités mentales. Notre esprit retrouve naturellement sa capacité de ne pas s'identifier à ce qui est éprouvé.
Etablis dans la posture, ici et maintenant, il y a non fixation sur ce qui apparaît. Il y a attention soutenue à ce qui apparaît, la naissance, le déroulement puis l'extinction des phénomènes. Le ciel change sans cesse au-dessus de la montagne immobile. Les saisons se succèdent sans que rien ne trouble le cerisier du jardin.
Entrer en soi, entrer dans la pratique, entrer dans la Voie. Autant d'expressions qui semblent relever d'une volonté, d'une capacité d'être décideur et acteur d'un fait qui aboutisse à une certaine forme de satisfaction.
Alors on peut considérer comme souhaitable ce moteur qui nous met en route vers quelque chose que nous souhaitons voir se réaliser. Conserver la vitalité et la profondeur de ce désir. En même temps, être de plus en plus conscients de notre impuissance radicale à toucher, posséder, détenir quoi que ce soit de tangible par rapport à ce désir. Deux éléments en apparence antagoniste et difficiles à accorder.
Nous sommes animés au coeur de la pratique par ces deux énergies en apparence contradictoires, ces deux forces que nous tentons d'accorder. A la fois détermination consciente et attention soutenue, le tout dans un abandon d'appropriation. Nous sommes dans une mobilisation entière, une pleine attention, une pleine présence au point de nous fondre dans un éternel présent. C'est dans cette pleine présence que nous pouvons réaliser, à notre insu, l'instant. Passé et futur disparaissent, n'ayant de sens que dans une conscience formelle et temporelle de notre esprit.
Là se trouve peut-être une forme de réponse à tous les questionnements actuels : mieux comprendre et mieux appréhender nos fonctionnements, notre rapport au désir, avant de prétendre détenir une solution. Inverser le processus qui consiste à chercher une solution sans s'intéresser aux mécanismes et aux conditionnements.
Là se trouve peut-être une forme intéressante de révolution.
Mercredi 4 septembre 2013
Paradoxalement, la façon la plus appropriée d’« exprimer » l’essence de la Pratique est encore le silence. Le silence tend à unifier l’esprit. L’agitation cesse, il s’ensuit un apaisement et une plus grande clarté au sein de laquelle peut apparaître notre nature plus profonde.
Si nous parlons d’unifier l’esprit, c’est bien que nous sommes habituellement en présence d’une forme de séparation. Cette séparation tient à la prédominance du fonctionnement dualiste de notre esprit. Lorsque nous utilisons les mots, qui sont des émanations de notre pensée, il y a d’un côté le penseur et de l’autre le monde des objets qui sont des représentations que nous traitons au moyen de notre réflexion. Bien que cet aspect de notre fonctionnement mental soit utile, c’est celui-là même que nous abandonnons pendant la pratique. Nous laissons notre esprit se libérer des concepts pour entrer dans le silence de la Réalité. Nous n’avons alors plus affaire à l’illusion ordinaire de ce que nous voyons ou percevons habituellement mais à l’aspect réel du monde et de nous-mêmes qui ne fait plus qu’une seule et même chose.
Créer une représentation revient à acquérir quelque chose, en l’occurrence s’approprier une idée. Nous aimons acquérir des expériences, des connaissances, des sensations agréables. Il est difficile dans la pratique de relâcher ces schémas Nous voyons là que notre pensée, dont le travail est de créer des représentations, peut être un obstacle à la pratique. Si nous venons ici dans l’esprit de faire quelque chose de spécial ou si nous pensons nécessaire pour un pratiquant de s’installer les jambes croisées sur un coussin, notre pensée crée une séparation entre nous et le pratique. Si nous pensons l’inverse, c’est la même chose. Dans tous les cas, nous créons des représentations qui ne sont pas la pratique.
de fonctionnement pour s’abandonner à la Vacuité. Cette Vacuité qui attire notre essence autant qu’elle effraie notre conscience formelle. Cependant, ce qui nous a placé sur ce chemin, ce qui nous guide vers une forme de pratique, l’énergie sous-jacente à notre recherche, est comme la trace en nous de cette Grande Vacuité sans Forme, la Paix du vaste ciel au-delà des turbulences et des éclairs passagers, au-delà des vicissitudes de notre existence formelle.
Plonger au cœur de la pratique revient donc à nous tenir dans une attention désinvestie de nos représentations, ceci afin d’expérimenter ce qui est là tel que c’est de façon directe.
Si nous relâchons notre attention, pour ailleurs et autrement, nous sortons de la pratique. Nous sommes repris par notre mode dualiste. Cela peut être pour somnoler, rêver, nous éloigner des difficultés corporelles, en somme pour échapper à la réalité du moment.
Notre Voie est l’unité. La difficulté, le problème et donc la recherche d’une solution tiennent à la capacité d’auto-création du penseur ainsi que sa capacité à créer ce qu’il cherche ensuite à éviter ou à atteindre. Sans invalider la pertinence relative de ce système, il demeure possible d’en vivre un aspect plus fondamental. Installé au cœur des difficultés relatives, nous demeurons dans l’unité de l’expérience, nous demeurons simplement assis sur notre coussin assis au cœur même de notre difficulté, de notre problème. Lorsque nous faisons entièrement partie de notre problème ou que notre problème fait entièrement partie de nous, de tout notre corps et de tout notre esprit, il n’y a fondamentalement aucun problème. Si nous sommes le problème, ou si le problème est nous, il n’existe de fait aucune sorte de problème.
La juste compréhension de la Voie renverse notre approche dualiste et relative du monde. D’une conscience restreinte qui construit le moi et les objets, nous nous laissons ouvrir à une conscience vaste qui embrasse l’ensemble des phénomènes dans une d’une étreinte totale. La dissolution de l’aspect illusoire de ces constructions ouvre à l’espace infini de notre Nature fondamentale qui Est et a toujours été absolument libre.
Mercredi 11 septembre 2013
Pendant la pratique, nous sommes totalement à l'écoute du corps, nous sommes en unité avec nos sens, c'est à dire que notre corps et notre esprit sont en unité avec ce qui se manifeste là, maintenant sur la scène corps/esprit.
En réajustant d'instant en instant notre verticalité, notre positionnement dans l'espace, nous sommes également en unité avec cet espace dans lequel notre forme s'inscrit. Nous occupons totalement et matériellement cet espace. Espace extérieur et espace intérieur communiquent par la respiration. Nous laissons battre à chaque inspiration la porte du corps dans un sens et nous la laissons s'ouvrir dans l'autre sens à chaque expiration.
D'instant en instant, chaque point de temps est une nouvelle expérience, chaque sensation est neuve, chaque son apparaît pour la première fois. Rien ne demeure, l'esprit se laisse traverser par l'expérience de la forme sans la retenir; sans la saisir, ni sous forme de prise, ni sous forme de rejet. Ni choix ni rejet, tout comme ni ceci ni cela, aucune identification, aucune saisie qui pourrait donner naissance à l'illusion d'une personne, de quelqu'un qui expérimente. Aussi il y a seulement à être, expérimenter, être sans avoir. Expérimenter, être sans dualité, être.
La conscience laisse se découvrir l'instant sans instant, le point d'instant qui se renouvelle en mourant à chaque instant et en renaissant à chaque instant. Passé et futur fondent, sombrent dans la dilution de l'esprit conceptuel limité qui s'élargit à l'Esprit vaste.
A chaque expiration, laissez s'écouler les pensées sur la Terre, laissez se vider toute retenue, toute saisie. Abandon, dépouillement de la forme dans la forme.
Corps totalement vivant, dressé, érigé de l'énergie de la Pleine Conscience. Elan qui entre dans le coeur de la Voie sans retenue. Sans retenue signifie dans une gratuité naïve et sensible, dans un effort sans but, dans une foi sans croyance, dans une nécessité sans fruit escompté.
Ne bougez pas, ne dormez pas, ne vous échappez pas. Entrez dans l'expérience du maintenant sans rien en retrancher.
Mercredi 18 septembre 2013
Deshimaru parlait de « penser du tréfonds de la non pensée ». Pendant la pratique assise en silence, pensez du tréfonds de la non pensée.
Le terme « pensée » renvoie à une attention dirigée verssortes de contenus mentaux sans que nous soyons sens un contenu mental qu'il est possible de développer grâce notre à imaginaire. La plupart du temps, notre esprit utilise toutes ibles à ce qui opère en nous. De cette façon nous pouvons nous projeter dans une multitude de situations, d'inventions, de créations, nous pouvons d'une certaine façon exister hors de nous-mêmes dans une réalité fictive. La pensée est un outil qui nous permet de modeler la réalité.
En stoppant l'automatisme de nos comportements, en sortant de notre fonctionnement ordinaire par la pratique assise, nous devenons capables de mieux observer les mécanismes de notre esprit. Ainsi nous voyons que nous pouvons devenir davantage conscients des contenus mentaux qui surgissent dans notre esprit. Nous pouvons aussi voir que notre attention est alors placée en situation de saisir ou de ne pas saisir ce qui apparaît. Il y a une certaine forme de conscience témoin qui observe les mouvements de l'esprit. Cette forme de conscience est en fait la simple attention, attention à ce qui Est, tel que cela se produit. C'est un peu comme si vous observiez une scène vide et que de temps en temps un acteur la traverse. Il y a conscience de ce mouvement, de ce changement, tel que c'est.
La saisie se produit lorsque la conscience cesse d'être simple témoin et interfère dans le contenu mental. Le contenu est l'occasion pour la conscience de sortir de la réalité telle qu'elle est pour se transporter dans une réalité Autre, telle qu'elle pourrait être.
Penser du tréfonds de la non pensée signifie donc exercer sur l'ensemble corps/esprit une attention soutenue d'instant en instant tout en laissant aller et venir librement tous les phénomènes qui s'y produisent. Si une perception corporelle donne lieu à une pensée, nous sommes déjà sortis de l'observation pure. Nous sommes déjà dans le discursif. Ainsi perceptions, sensations, émotions, contenus imaginaires, souvenirs, tous ces phénomènes se présentent sur la scène psychique, la traversent sous les yeux de notre attention consciente sans devenir objets de pensée.
Cette attention est comme la porte de la pratique. C'est aussi la porte de nous-mêmes, de notre nature vaste, cosmique. Ni choix ni rejet, accueil de ce qui est ouvre le champ à une conscience élargie, libre. Nous sortons de notre conscience limitée et dualiste pour ouvrir à à cette liberté inconditionnelle que nous portons en nous et que nous cherchons durant notre existence dans notre rapport confus avec le monde des formes.
Mercredi 25 septembre 2013
Lorsque nous sommes assis en silence, il est important de tenir notre attention portée vers l'ensemble corps-esprit et tous les phénomènes qui y prennent place, ponctuellement ou de façon plus durable.
Nous laissons ces phénomènes se produire librement sans en faire aucun usage particulier, c'est à dire sans les saisir au moyen de notre pensée. Cette attitude ne consiste pas à s'enfoncer dans une sorte de brouillard diffus. Nous sommes au contraire totalement établis, l'esprit clair, au coeur de la réalité vivante et concrète de chaque instant. Nous sommes plus vivants que jamais. En temps ordinaire, notre esprit est encombré à se projeter dans une somme innombrable de pensées dont le but est de nous projeter ailleurs et autrement. Nous ne sommes pas vivants au présent.
La pratique consiste à prendre conscience de ce type de comportement en observant le maintenant de chaque instant, non pas pour le disséquer mais pour se placer face à nous-mêmes, en évitant de nous évader.
Cette observation n'est pas une lutte dont la finalité serait la paix ou la détente, un goût de liberté. Nous ne concevons aucun objectif particulier si ce n'est celui d'observer nos fonctionnements ordinaires.
S'il est vrai que nous tout de même animés d'une intention, ce serait une intention dénuée d'objet, de contenu, une intention tout court qui nous fournit simplement l'énergie de venir pratiquer. Une sorte d'élan sans idée de fin. Une fin qui s'ignore et qui est décidée à expérimenter ce qui est là, ce qui se produit là maintenant. Une observation de ce corps-esprit en relation avec ce qui est là. Une prise de conscience du fonctionnement de cette rencontre, de cette relation.
Tout en cultivant pour ce corps-esprit la bienveillance et non la lutte, nous exerçons ce type d'effort subtil qui se laisse pétrir par la réalité changeante et mouvante de chaque instant. Nous ne rejetons rien de ce qui se produit. Nous ne retenons rien non plus. Nous incluons tout ce qui est là sans esprit de catégorie, sans partager, sans dissocier ceci ou cela, sans reconnaître ni méconnaître, sans rien figer, sans cristalliser, sans recherche aucune.
Laisser la conscience s'élargir en dehors de soi, s'ouvrir sans discriminer ceci ou cela, sortir de l'étroitesse ego-centrée.
Du sommet de la haute montagne, se mêlent l'émerveillement et la peur, l'observateur est happé par la contemplation et par l'ivresse d'une liberté inconnue.
Mercredi 02 octobre 2013
Lorsque nous sommes assis en silence, l'attitude juste de notre attention est très importante. Nous développons une qualité de vigilance accrue par rapport à notre attention ordinaire et en même temps cette vigilance n'est pas destinée à alimenter notre mental. Notre mental ne nous est d'aucune aide si nous voulons nous connaître .
C'est pour cette raison que chaque instant est consacré à soutenir l'attention comme un projecteur dirigé vers les perceptions et les diverses sensations qui concernent l'ensemble corps/esprit.
Nous pouvons utiliser notre mental pour comprendre le sens apparent des enseignements. Ceux-ci nous disent en premier lieu que la compréhension de cette pratique ne réside pas dans les mots. Les mots sont comme une direction indiquée sur un panneau. Ils nous mettent en garde contre notre fonctionnement ordinaire et nous renvoient à la compréhension profonde de nous-mêmes par la pratique de l'attention.
Dans notre approche mentale des phénomènes, nous avons l'impression que nous connaissons les objets car nous connaissons leur nom. En allant plus loin, nous analysons les éléments qui les composent et nous modélisons des formules pour l'eau, l'air, etc.
Tous les moyens que nous développons ne permettent pourtant pas de savoir ce qu'est l'eau ou l'air en eux mêmes. Pour nous c'est la même chose. La connaissance mentale de ce que nous sommes et de ce qui nous compose ne nous ouvre pas l'accès à ce que nous sommes profondément. Nous devons accéder à une autre forme de connaissance. Cette connaissance est déjà là, voilée par nos fonctionnements limités et réflexifs, dualistes.
Dons dans cette pratique et dans d'autres il est important de considérer les enseignements comme des panneaux indicateurs auxquels nous ne pourrons nous attacher.
Dans cette pratique nous entendons ou lisons parfois une formule qui illustre ceci. « Si vous voyez un bouddha, tuez-le! ». Cela signifie qu'il n'existe pas d'objet, pas de modèle extérieur, pas de représentation, rien qui puisse constituer une référence matérielle à laquelle adhérer. La connaissance de nous-mêmes se tient en nous-mêmes. Elle est au-delà d'une référence mentale, au-delà de nos représentations.
Pendant la pratique en silence, l'attitude juste de l'attention est le plus important.
Mercredi 09 octobre 2013
La lecture des maîtres du passé est un grand enseignement, riche et profond. Il a notamment l'intérêt de prendre une forme ultime. Pour cette raison, nous devons particulièrement entendre cet enseignement sans l'intellectualiser, le laisser s »imprégner en nous, le laisser nous pénétrer profondément.
Lisons ensemble Suzuki :
L'expérience de la chute d'eau.
Shunryu Suzuki raconte dans « Esprit zen, esprit neuf » : « J'ai eu un jour l'occasion de contempler une grande chute d'eau, très haute, de plusieurs centaines de mètres, de sorte que l'eau paraissait en descendre très lentement. Avec une telle hauteur, l'eau met naturellement du temps à parcourir la distance depuis le haut de la chute jusqu'en bas. Elle ne descend pas d'un seul flot mais se sépare en fines gouttelettes. Je me demandais quelle expérience c'était pour chaque goutte d'eau de descendre ainsi la montagne et je comparais cela à notre vie humaine qui est un peu ainsi. Nous passons par beaucoup d'expériences difficiles. En même temps, à l'origine, l'eau n'est pas séparée. Elle forme une rivière entière. C'est seulement séparée en multiples gouttelettes qu'elle commence à exprimer quelque chose, comme si le fait d'être séparée en multiples gouttes pouvait lui faire éprouver quelque chose ».
« Avant notre naissance, nous n'avions pas de sensations, nous faisions un avec l'Univers. C'est ce qu'on appelle « rien que l'esprit », « essence de l'esprit », « esprit vaste ». Quand la naissance nous a séparés de cette unité, comme le vent et les rochers séparent l'eau qui tombent de la cascade, alors nous avons la sensation. Nous avons des difficultés parce que nous avons la sensation. Nous nous attachons à la sensation sans même savoir comment est crée cette sensation. Tant que nous ne réalisons pas que nous faisons (encore) un avec la rivière, un avec l'univers, nous avons peur. Qu'elle soit ou non séparée en gouttes, l'eau reste l'eau.
« Quand l'eau retourne à son originelle unité avec la rivière, elle n'éprouve plus aucune sensation individuelle par rapport à la rivière. Elle reprend sa propre nature et trouve la sérénité.
S'il en est ainsi, que ressentirons-nous lorsque nous mourrons ?
Mourir n'est pas une expression très adéquate, il vaut peut-être mieux dire « passer » ou « se joindre ».
Peut-être aurons-nous la sérénité, la parfaite sérénité.
Nous avons à présent une certaine crainte de la mort, mais une fois retrouvée notre Nature Originelle, où est cette crainte ?
Aujourd'hui soit ignorons la beauté parce qu'elle ne correspond pas à notre réalité du moment, soit au contraire nous la surestimons pour la raison inverse.
Si nous atteignons la compréhension ultime, alors nous sommes capables de voir la beauté de la vie humaine dans toute ses dimensions.
Mercredi 16 octobre 2013
Avant même de nous installer sur notre coussin, nous pouvons déjà commencer à nous laisser pénétrer par les enseignements de cette pratique.
En effet cette pratique ne commence pas lorsque nous sommes assis, pas plus qu'elle ne consiste à s'asseoir sur un coussin pour effectuer des choses particulières.
Cette pratique consiste à cultiver un esprit juste. Comment ? en voyant notre esprit ordinaire à l'œuvre.
Par exemple avec quel esprit nous installons-nous sur notre coussin ? Il se peut que nous soyons bien concentrés mais sommes-nous dans une attention qui cherche à être mieux assis ou bien sommes-nous assis comme nous sommes, en vivant la façon dont le corps s'est assis là maintenant ? Sommes-nous traversés par la pensée d'une séance agréable ? Si oui, sommes-nous capables de nous abandonner totalement à ce qui, inévitablement, sera ?
Nous donnons souvent des indications concernant la façon de mettre en place la posture et de faire en sorte de rester concentré sur le corps. Mais comment cela est-il entendu et agi ? De quelle nature est l'esprit qui opère ? Pour certains, cela consistera en une vague mise en place approximative et sans conviction tandis que pour d'autres il s'agira au contraire d'appliquer avec ferveur une consigne de façon stricte et rigoureuse.
Nous éprouvons des émotions, des sensations multiples, différentes. Nous en préférons certaines au détriment d'autres. Nous préférons conserver les fleurs et arracher les mauvaises herbes.
Mais dans cette pratique, une mauvaise herbe est en fait un trésor précieux.
Entrer véritablement dans la pratique pourrait consister en ceci :
Si notre tendance est une attitude laxiste par rapport à une consigne ferme, alors c'est dans la posture ferme que nous devons découvrir le laxisme.
Si au contraire nous alimentons la rigueur, il est préférable d'adopter un certain relâchement pour y découvrir finalement la rigueur.
Pour la personne rigoureuse, la posture laxiste est une fleur. Pour la personne laxiste, la rigueur est une fleur.
Parfois nous sommes dans la joie, parfois nous souffrons. Nous séparons joie et souffrance.
Nous trouvons difficile de vivre en étant en même temps conscients de l'évanescence de la vie.
Mais l'évanescence de la vie peut apparaître comme une fleur pour qui expérimente le regard juste dans sa pratique.
Mercredi 23 octobre 2013
Lorsque nous installons le corps dans la posture, nous croisons les jambes devant le bassin. Il existe bien une jambe droite et une jambe gauche, mais ces deux jambes forment maintenant un seul élément, une unité.
Cette position des jambes exprime l’unité de la dualité. Nos jambes sont à la fois deux et en même temps un. On peut exprimer cela en disant également qu’elles ne sont ni deux ni un.
Lorsque nous plaçons la main gauche dans la main droite, nous unissons bien une main gauche et une main droite mais en fait cette réunion des deux mains forme une unité. Il n’y a plus une main gauche et une main droite distinctes. Il y a un.
Pendant la pratique assise, nous suivons la respiration. Quand nous inspirons, l’air vient de l’extérieur vers l’intérieur et lorsque nous expirons il repart de l’intérieur vers l’extérieur. Nous désignons un « extérieur » et un « intérieur » mais en fait il n’existe qu’un seul monde global. Espace extérieur et espace intérieur, bien que distincts sont en même temps le même espace.
Si nous sommes concentrés sur la respiration en pensant « je respire », le « je » est en trop. Ce que nous appelons « je » est une sorte de porte battante qui va et vient quand nous inspirons et quand nous expirons. Elle bat, c’est tout. Lorsque notre esprit est assez calme pour suivre simplement ce mouvement, il n’y a alors pas de jambes, pas de bras, pas d’intérieur ou d’extérieur, pas de monde, pas d’esprit qui observe et donc pas d’objet observé. Il y a ce qui est là maintenant, l’activité de notre nature profonde.
Temps et espace sont des idées qui disparaissent lorsque l’activité de la vie s’exprime de la façon la plus simple et la plus directe. Bien que sur le plan relatif nous savons que nous commençons à 19 h30 et terminons à 20 h45, au niveau absolu nous sommes seulement assis et conscients de l’activité universelle ignorante du temps et de l’espace. Cette activité se répète indéfiniment d’instant en instant.
Notre souffrance vient de ce que nous fabriquons des distinctions. Il peut nous arriver de nous dire « ce serait mieux ailleurs ou autrement ». Nous créons dans notre esprit une idée séparée de ce qui est, une idée séparée du vrai moment présent. Expérimenter l’unité dans la pratique nous aide à voir et à apprécier la réalité telle qu’elle se présente à nous à chaque instant sans en créer une seconde conforme à nos fabrications mentales.
Mercredi 30 octobre 2013
Lorsque nous sommes en position assise, nous observons l'activité de l'esprit. Tous les contenus mentaux sont comme des nuages qui passent dans le ciel. Ils ont une existence réelle en tant que forme observable et en même temps cette forme change d'instant en instant. A chaque instant la forme précédente meurt à elle-même et donne naissance à une forme nouvelle. Leur apparence leur confère une existence et en même temps cette existence meurt et naît à chaque instant. Elle n'existe donc qu'en tant que changement permanent.
Lorsque les nuages ont accompli leur existence de vapeur d'eau, ils retournent au grand océan où ils se mêlent. Lorsque nous observons l'océan, nous n'y voyons aucun nuage car nous pensons que n'existe que ce que nous voyons. Mais si mobilisons le regard de la claire voyance, celui de notre nature profonde, les nuages sont bien là.
Si nous oublions le regard de la pleine conscience, nous ne voyons le monde et nous-mêmes qu'en terme de dualité. Nous voulons attrapper l'apparence, comme pour la fixer de peur qu'elle disparaisse. Nous sommes comme quelqu'un qui voudrait attrapper le vent. Nous ne pouvons qu'en souffrir car aucune forme n'est fixe. Les nuages, les pensées, les corps changent et se fondent au grand océan.
Pratiquer, c'est développer le grand esprit, l'esprit de l'océan, l'esprit de l'unité. C'est s'éveiller peu à peu à l'au-delà des apparences, s'éveiller à l'unité.
En observant l'activité de l'esprit, en observant la formation et la déformation des pensées, l'unité se révèle. Il n'y a plus un observateur qui observe des formes, des apparences qui se font et se défont. il y a présence de formes qui se font et de formes qui se défont dans le ciel de l'unité. Bien qu'en apparence séparés, ciel et nuages ne sont plus deux, comme pensées et observateur ne sont plus deux.
Mercredi 06 novembre 2013
Lorsque nous sommes assis en silence, progressivement le contact avec la profondeur s'établit, l'unité peut émerger. Même au coeur des phénomènes mentaux, l'unité est là. Il y a alors présence aux phénomènes qui apparaissent, conscience de ce qui apparaît et disparaît de ce qui se manifeste. En l’occurrence cette présence ou cette conscience sont simple attention à ce qui est.
Si cette attention donne lieu à un mouvement de la pensée, la simple ou pure attention est rompue. Il y a de façon concomittente formation et apparition par la pensée de « deux ». La dualité vient de la formation par la pensée du concept d'une personne, ce qui a pour conséquence de « créer un second », selon l'expression d'Arnaud Desjardins.
Si nous observons l'activité de l'esprit en partant d'un observateur, c'est bien le mental qui observe. L'attention est souvent soudée à l'idée d'un « je » qui la commande. Mobiliser l'attention revient alors à « je suis attentif ». Ce n'est pas la juste attention, ce qui revient à dire que ce n'est pas l'attention dont il est question dans la pratique. Il est donc important lorsque nous soutenons notre attention au cours de la pratique de détacher cette attention de l'observateur que nous pensons être pour que puisse émerger la seule attention, la seule conscience qui est unité.
Demeurer dans un « je » qui observe revient à demeurer dans le relatif. La pratique nous invite à regarder aussi du côté de l'absolu c'est à dire ne pas considérer qu'un seul côté de la pièce.
La Voie est le chemin qui ouvre à l'au-delà du concept, de la pensée « je suis ceci ». La voie nous propose de dépasser le sentiment d'un soi personnalisé douloureux et souffrant car créé par la pensée pour accéder à une dimension plus profonde que la pensée. Cette dimension est la conscience même, présence, attention, être intérieur, nature de Bouddha, selon les innombrables noms qu'on lui donne.
Mercredi 13 novembre 2013
Corps et esprit semblent séparés. Attention et respiration semblent séparés. Ainsi pendant la pratique il est dit de porter l'attention vers tel ou tel point. Il est dit de se concentrer sur la respiration. Mais en fait le point est aussi l'attention, le point est aussi la conscience tout comme la conscience est le point. Ainsi lorsque l'attention se porte sur un point, elle devient ce point. IL n'y a pas de séparation entre l'attention et le point. Cette séparation existe seulement si l'attention agit sous l'impulsion d'une entité qui pense exister en dehors d'elle. Ce fonctionnement est la plupart du temps totalement inconscient au sens où il est automatisé. Il est important d'observer cela en soi pendant la pratique, c'est à dire d'être attentif à ce mouvement de l'esprit qui rapporte l'attention à un « je ».
Cette qualité d'attention peut nous aider à être davantage centré sur les perceptions, les sensations et tous les phénomènes qui surviennent de façon permanente pendant la pratique. Au début il est possible si c'est difficile de formuler intérieurement la question « qui observe? » ou « qui ressent? ».
Nous pratiquons à partir de ce que nous sommes, nous venons pratiquer pourrait-on dire, en tant que « personnes » désireuses de « quelque chose ». Or la pratique ne propose comme réponse un retournement de la question. Elle dit à la personne « qui vient? ». C'est ainsi qu'apparaît le koan. Aucune réponse formelle n'est possible et informelle encore moins.
La pratique part du corps. Cesser toute activité (relevant d'un désir) est essentiel. Mais même assis ce désir se poursuit. Il faut regarder à la source, vers le sujet désirant et le questionner sans paroles.
Donc abandonner « son » corps dans la pratique, abandonner « son » esprit, comme « personne », simplement par une attention à un support, mais en fait cette attention soutenue est déjà la Conscience Vaste.
Mercredi 20 novembre 2013
L'esprit entièrement attentif, c'est l'esprit entièrement disponible, ouvert, vacant, fixé sur rien, ne retenant et ne rejetant rien, laissant apparaître et disparaître tout phénomène, toute manifestation.
La pratique n'est pourtant pas extinction, anihilation de la vigilance, ou encore assoupissement. Encore moins repos ou torpeur. Il y a maintien d'une présence forte et d'une conscience aiguisée.
Il y a à la fois présence forte et attention soutenue par un engagement qui paraît venir de l'observateur. Mais l'observateur est en fait un véhicule, un support au travers duquel circulent les manifestations sous forme de perceptions, de sensations, de constructions mentales. Ces manifestations n'ont ni commencement ni fin, elles sont l'expression de la réalité de chaque instant. Etre traversé par cette réalité sans en saisir rien revient à vivre l'expression de la Conscience universelle. Effectuer des choix ou des rejets revient à vivre l'illusion de détenir une conscience personnelle.
Pendant la pratique, nous prenons davantage conscience d'être l'expression de la Conscience Universelle. Au travers d'une forme personnelle, nous laissons s'exprimer en nous la Conscience Vaste. C'est là que nous pouvons être totalement accordés avec la réalité de chaque instant en laissant s'exprimer en nous l'émanation de la Conscience Vaste.
Pendant la pratique, nous sommes à la fois soumis au temps en tant que forme, en tant que personne. Mais au coeur, au plus profond, s'exprime l'instant, le sans forme, l'au-delà du temps. Cet instant échappe à toute définition et à toute notion. Cet instant ne peut être nommé, même si on parle d'instant présent. Il est comme le creuset ou fusionnent tous les contraires, tous les opposés, toutes les représentations.
Mercredi 27 novembre 2013
Même si nous ne le formulons pas de façon explicite ou directe, nous devons entretenir en nous un questionnement sur la pratique. Que ce soit pendant l'assise ou dans la vie quotidienne. Entretenir un questionnement n'est pas une façon de faire fonctionner notre intellect, notre mental en vue de trouver une réponse. Dans un tel cas, c'est toujours notre mental qui trouvera la réponse et celle-ci apparaîtra alors toujours sur le seul plan subjectif, c'est à dire relatif, dualiste.
Entretenir en nous un questionnement sur la pratique, au sujet du fondement de la pratique, revient à nous positionner dans une sorte de « non-savoir ». C'est un peu comme si nous disposions dans l'espace un point d'interrogation et qu'ensuite nous l'observions avec beaucoup d'attention sans attendre aucune réponse. Même en avançant dans la pratique, nous restons ignorants d'elle, la découvrant encore et encore sans la connaître pour autant.
Pendant le temps d'assise, l'attention nous joue parfois des tours car elle ne demeure pas tout à fait dans la simple observation. Elle peut anticiper « quelque chose », quelque chose que nous attendons, sans trop savoir quoi mais qui pourrait constituer un objet de satisfaction. Elle adopte alors le fonctionnement habituel de notre esprit ordinaire, de notre esprit petit. Elle s'en tient à l'attente d'une récompense.
Dans ce cas, nous ne pouvons expérimenter ce qu'est la pratique, c'est à dire la liberté parfaite de l'esprit. Si nous restons dans une certaine idée d'obtention, nous ne pouvons entrer dans l'espace de liberté qui correspond à notre nature profonde. D'une certaine façon, nous ne pouvons entrer véritablement dans la pratique qu'en lâchant toute idée, même au sujet de la pratique.
Pendant l'assise, nous soutenons, nous maintenons une sorte d'effort. Nos efforts visent habituellement un résultat tangible et concret. Nous les déployons dans un but. Or ici, il s'agit d'un effort spécial. Cet effort est le secret de la pratique. Nous sommes confrontés à un paradoxe du fait que si nous déployons nos efforts comme nous le faisons habituellement dans l'attente d'un résultat, la pratique finira par nous décevoir. D'un autre côté, si nous ne déployons aucun effort, nous serons également déçus. Nous devons être à la fois dans une qualité d'observation optimale tout en laissant totalement vacant l'espace où se produisent les phénomènes observables. Nous les laissons venir et nous les laissons partir. Si nous essayons d'opérer par exemple une action pour calmer notre esprit agité, nous ne sommes pas dans la pratique. Si nous nous concentrons sur l'inspiration et sur l'expiration, nous ne sommes pas non plus dans le sens véritable de la pratique. La concentration est seulement une aide pour réaliser l'esprit vaste, l'esprit qui n'oppose plus Est et Ouest, bien et mal.
Le positionnement juste ou l'effort juste est d'observer les choses telles qu'elles sont, en laissant passer cela comme cela passe. Cela revient à être à la fois totalement « actif » dans l'observation et totalement « passif » dans la saisie. La pratique consiste à ouvrir notre esprit petit. Cette ouverture nécessite des règles et des efforts. Il nous faut comprendre, dans le sens d'expérimenter, en quoi le silence est éloquent, l'obscurité lumineuse, la faille une force.
Simone VEIL dit que la faille est le seul endroit où la lumière peut s'infiltrer, nous toucher.
Mercredi 4 décembre 2013
Assis en silence, nous laissons se dérouler la manifestation des phénomènes. Nous sommes à la fois le lieu et le témoin, l'observateur de tout ce qui apparaît à la conscience, de tout ce que la Conscience développe.
D'instant en instant, nous demeurons solidement ancrés dans la posture, sans volonté particulière, sans intention propre.
Nous nous réajustons, nous ne sommes pas pour autant figés, nous sommes même tout à fait vivants et nous vivons de tout notre corps et de tout notre esprit l'ici et le maintenant.
Chaque phénomène apparaît, tel la vague qui émerge de l'eau. Chaque phénomène prend forme en se détachant de façon distincte, semble exister de façon séparée comme nous pensons que nous existons séparément du Tout. Chaque phénomène se distingue des autre par sa forme unique tout comme nous ne ressemblons à aucune autre forme.
Chaque phénomène sombre et disparaît, emporté pae le Grand Tout, comme chaque vague revient à l'eau ou chaque dune au sable.
Etre assis; c'est mobiliser toute notre attention à observer cela, à être cela dans un état de présence à l'intérieur duquel nous en faisons rien de spécial, où rien n'est à faire ou à ne pas faire, où rien n'est à saisir ou à rejeter, où il n'y a ni pensée ni non pensée.
C'est dans ce lieu sans lieu que se réalise l'instant du milieu qui n'est ni dans le passé ni dans l'avenir, à la fois toujours le même et toujours nouveau, toujours neuf. Toujours changeant dans son immobilité, toujours mouvant dans son éternité.
Mercredi 11 décembre 2013
Assis en silence dans la posture, nous inspirons et nous expirons.
Etre assis dans la posture, c'est être présent dans le corps, c'est occuper tout l'ensemble de l'espace corporel.
Présence dans chaque fibre du corps, présence dans le bassin en contact avec la terre, présence dans le tronc vertical dans l'espace, présence dans les bras, dans les mains. Présence dans la tête.
Présence dans les perceptions du toucher, des sons. Présence aux sensations, à toutes les constructions mentales, émotions, images, qui s'élèvent dans la conscience.
Pendant la pratique, nous veillons particulièrement à débusquer notre comportement ordinaire, celui qui nous entraîne souvent à nous laisser attirer par ces mêmes manifestations que nous observons maintenant.
La pratique nous permet par l'attention de nous centrer sur le corps et de conserver une présence dans ce centre. Nous ne nous laissons pas entraîner hors de nous-mêmes. Ce qui nous entraîne habituellement perd ainsi de sa force au fur et à mesure que nous apprenons à le laisser se dissoudre.
Nous souffrons de nos attachements et en même temps nous les aimons. Nous ne donnons du sens à notre existence que grâce à eux. C'est un peu comme si ils nous constituaient. Il est donc très difficile de nous en séparer ou même d'en concevoir l'oubli. C'est tout simplement impensable.
La pratique nous enseigne progressivement la patience. Nous découvrons la possibilité de demeurer tranquille sans activité, sans affaire en cours. Peu à peu l'espace peut commencer à s'ouvrir et peuvent poindre progressivement les lueurs que nous croyions trouver à l'extérieur de nous-mêmes.
Journée de pratique du samedi 14 décembre 2013
1 ere séance
Assis dans le silence de la posture, nous prenons contact avec le calme intérieur, avec cet espace stable déjà présent en nous, qui ne varie pas, ne change jamais.
Cet espace correspond à notre centre. Il se tient au coeur de notre intimité la plus profonde. On peut dire qu'il correspond à notre essence ou notre nature.
Cet espace ne peut être trouvé par la conscience comme un objet nouveau à découvrir, cet espace est en fait la Conscience elle-même.
Cet espace ne peut être que « découvert », c'est à dire qu'il émerge dès que les turbulences de la pensée qui le recouvrent cessent.
La pensée n'est pas seulement un outil qui nous aide à résoudre des problèmes. Elle est aussi ce par quoi nous sommes identifiés à une forme particulière et à un nom qui perdure dans le temps.
Même si nous sommes dans l'observation et dans une attention relativement détachée, l'identification continue d'agir et les perceptions que nous ressentons nous parviennent au travers de ce filtre. C'est ce qui nous donne le sentiment d'exister en tant qu'entité distincte.
Il nous faut ainsi remettre de façon répétée l'ouvrage sur le métier et maintenir la constance de nos efforts pour éroder cette identification, cesser de la nourrir, l'assécher.
Nous ne pouvons cependant procéder de façon ordinaire, c'est à dire en fixant un but et en engageant l'action qui mène à ce but.
Il nous faut à la fois engager toute notre énergie et en même temps abandonner toute idée, toute pensée relativement à un résultat. Décider fermement de perdre toute ambition pour soi-même à chaque instant qui s'écoule.
2 eme séance
Pendant l'assise, toute notre attention est disponible et peut se rassembler pour se rapprocher au plus près de ce qui est là maintenant pour nous.
Chaque instant est l'occasion de rencontrer ce qui est et chaque instant est l'occasion de voir clairement les résistances à l'oeuvre qui tentent de négocier ce qui est, de le colorer, de le remanier, etc. Chaque instant est l'occasion de prendre conscience de la façon dont notre esprit égotique traite les perceptions.
De façon classique, nous utilisons les « bonnes » perceptions pour donner de l'intérêt à l'action que nous sommes en train de mener et nous tentons de différer les « mauvaises ».
Le type d'effort que nous devons déployer est celui de nous installer au coeur des perceptions ou des phénomènes de toutes sortes dont nous sommes le lieu. Cela se passe à l'instant même et chaque instant est le plus important.
Tant que nous sommes à distance des phénomènes, tant que nous les tenons pour distincts de notre observation, nous continuons de fonctionner de façon dualiste. Nous devons rapprocher notre attention si près des phénomènes que ceux-ci se fondent dans l'observateur. Là est l'unité, là est le silence, là est le calme au coeur du bruit même. Les bruits extérieurs ne dérangent pas le calme intérieur.
Cette attitude correspond à faire complètement ce que nous faisons. Si nous faisons totalement ce que nous faisons, naturellement nous nous oublions. La pratique consiste à faire totalement ce que nous faisons et le reste suivra naturellement. Pratiquer revient donc à essayer de nous concentrer sur le fait d'être assis, avec tout ce que cela suppose de résistances.
3 eme séance
Quelle est l'énergie qui nous anime ? Pourquoi agissons-nous et que visons-nous par les différentes actions que nous menons ?
Si nous observons nos comportements, il apparaît facilement que nous recherchons sous une forme ou une autre la satisfaction. Lorsque nous éprouvons ce sentiment de satisfaction, par le biais de notre action, nous nous sentons alors un peu plus complets, un peu plus entiers, un peu plus unis.
La satisfaction procure un sentiment agréable où aucun conflit intérieur ne vient diviser notre esprit. La bonne humeur apaise et procure le calme de l'esprit, les tensions disparaissent et nous nous sentons bien, complets.
Le constat que nous pouvons faire facilement est cependant que cet état n'est pas durable. Il décroît et cesse, remplacé par la nécessité de le renouveler, afin de goûter à nouveau un sentiment d'unité.
Chacun connaît, à des degrés divers, cette évidence qui est le lot de chaque vie, de chaque existence, de chaque personne.
La pratique consiste en un bouleversement total des mécanismes habituels. Elle naît du constat que nous venons de citer en proposant d'étudier plus profondément la question de la satisfaction. Sans la rejeter pour autant, pouvons-nous l'étendre en quelque sorte ? C'est à dire la ressentir dans des conditions où nous ne l'aurions pas rencontrée auparavant ? Cela revient à faire l'expérience de la satisfaction au-delà des objets qui la provoquent habituellement et même sans leur présence. Les résistances que nous rencontrons sont des obstacles dus à nos conditionnements qu'il nous faudra peu à peu franchir en les laissant se dissoudre. La proposition de la pratique étant de goûter l'instant même comme une véritable expérience de satisfaction, comme une véritable expérience d'unité.
Mercredi 19 décembre 2013
Dans notre conscience ordinaire du monde, nous percevons les objets sur le plan relatif. Le plan relatif signifie la présence d'une relation, c'est à dire de « deux ». Il y a l'observateur, que nous appelons le sujet, par convention et il y a l'objet observé. Le monde relatif est le mode de la forme, des objets, où les objets se rencontrent, entrent en relation.
De cette relation avec le monde des objets, l'être humain tente d'extraire des éléments, des représentations qui puissent constituer des repères stables et durables, des vérités sur le monde. Nous avons besoin de nous construire et pour cela nous avons besoin d'établir avec le monde des rapports qui favorisent cette construction. Nous nous pensons en même temps que nous pensons le monde qui nous entoure.
A y regarder de plus près, se produit cependant une sorte de doute, en tous cas de questionnement sur le monde. De tous temps, les vérités ont été bousculées par des hommes ont voulu remettre en question les certitudes anciennes. Sans aller jusque là, nous pouvons à tout moment observer nos expressions, nos formulations car elles s'établissent à partir du monde relatif. Cela consiste à regarder les objets non pas du seul côté relatif mais aussi du côté plus fondamental. Si notre regard fondamental se développe, nous verrons alors les objets non plus de notre seul point de vue mais nous pourrons intégrer tous les points de vue à la fois. Il n'en demeurera pas moins qu'un certain point de vue sera plus proche mais il sera un parmi tous les autres. Si nous regardons le cosmos, certaines planètes sont plus éloignées ou plus lointaines par rapport au soleil qui les éclaire, mais toutes existent également.
Pendant la pratique, nous ouvrons largement notre esprit vers la vastitude du cosmos. Relativement, nous savons qui nous sommes, fondamentalement la page est blanche et nous devrions être assis comme une page blanche, sans aucun savoir sur rien et laisser s'imprimer en nous ce que nous sommes fondamentalement.