Mercredi 03 septembre 2014
La pratique de la méditation est à concevoir comme inséparable d’une somme d’enseignements théoriques dont elle constitue en quelque sorte l’actualisation. Ces enseignements sont communément appelés les quatre nobles vérités. Il s’agit en premier lieu de reconnaître la réalité de la souffrance. Il s’agit ensuite de connaître les causes de cette souffrance. Partant de ces causes il devient possible d’envisager une possibilité de la cessation de la souffrance. Il reste alors à suivre la Voie de cette cessation dont la pratique est l’actualisation.
- La réalité de la souffrance : la présence de la souffrance dans notre existence est une évidence dont nous faisons, avons fait ou ferons l’expérience de façon plus ou moins intense. Il y a d’innombrables façons de considérer la souffrance et les facteurs qui en sont la cause. On peut la situer lors de la survenue d’événements ponctuels qui font vaciller notre équilibre, nos repères. Il est possible aussi de la situer de façon plus permanente dans tout ce qui a un rapport à notre insatisfaction, à notre sentiment de manque, de non complétude.
- Possibilité de la cessation de la souffrance : est-il possible d’être heureux ? Notre sentiment de satisfaction peut-il être indépendant des vicissitudes de notre environnement perpétuellement changeant ? Si la réalité que nous vivons ne répond pas à ces questions, pouvons-nous avoir accès à une connaissance qui lève le voile de notre ignorance et nous rende capables de répondre à nos aspirations profondes ?
- Les causes de la souffrance : malgré tous nos efforts pour transformer la réalité en adéquation avec nos désirs, nous éprouvons encore de la souffrance. Est-ce une fatalité ou bien s’agit-il d’une conduite erronée ? Cette conduite tiendrait au fait que cette réalité nous apparaît non pas telle qu’elle est réellement mais bien selon la conception que nous nous en faisons à un moment donné. Le changement pourrait-il se situer à l’intérieur de nous-mêmes ?
- La voie de la cessation de la souffrance : l’expérience ordinaire nous montre que la réalité que nous percevons varie selon nos dispositions internes. A partir de ce simple fait, nous pouvons commencer à élargir progressivement ces dispositions comme on ouvrirait une fenêtre de plus en plus largement sur le monde. La pratique de l’intériorisation, de l’observation, de la concentration qui stabilise l’esprit nous conduit pas à pas à une perception différente de la réalité. Nous sommes progressivement amenés à embrasser un champ de plus en plus large qui découvre toute l’étendue de notre esprit et de notre nature. C’est là notre maison véritable, notre unité retrouvée.
Mercredi 10 septembre 2014
La méditation n’est pas un exercice de la pensée, comme le définit le sens occidental, mais plutôt un travail « sur » la pensée. La méditation est observation, attention. L’attention est un comme un plan fixe au cinéma. Le plan fixe n’accompagne pas la scène qui est en train de se jouer. Le plan fixe cadre la scène psychique. Des phénomènes apparaissent, entrent dans le cadre, dans le plan, se montrent à la conscience, entrent dans le champ de l’attention, sans que jamais, l’œil de la caméra, du témoin, de l’observateur, ne suive, ne saisisse ce qui se joue.
Il est important de percevoir le moment où l’attention devient saisie. Il est important de percevoir l’instant où l’attention sort du cadre pour s’absorber dans le phénomène, pour s’élancer dans la pensée. Si nous quittons le cadre, la réalité de l’attention et de l’observation, nous sommes coupés, nous entrons dans la spéculation, dans la fiction, dans la vision ordinaire. Nous entrons dans la dualité génératrice de souffrance. La souffrance est toujours coupure, séparation, comparaison entre ce qui Est et ce pourrait ou devrait être. La souffrance est toujours refus. Entrer dans la spéculation, c’est tenter une unité fictive, une unité d’emblée illusoire car crée par la pensée. Chaque jour est consacré, si nous y regardons bien, à rechercher en nous une forme d’unité que nous appelons satisfaction, joie ou bonheur. Pour cela nous nous entourons d’objets, objets matériels ou conceptuels.
La souffrance est pensée car les objets créés par la pensée s’évanouissent comme s’évanouit le temps et les êtres qui nous entourent. La joie ou le bonheur ne sont pas concevables, ils ne peuvent qu’être. S’ils ne sont pas présents, c’est que l’esprit est trop encombré pour les reconnaître.
Méditer, c’est actualiser d’instant en instant notre capacité à être. Le fait d’être ne passe pas par la pensée. Il n’est pas nécessaire de penser « je suis » pour être. Il suffit de demeurer totalement présent à ce qui Est là, aux phénomènes qui traversent cette Conscience, de façon totalement libre, en unité totale avec ce qui apparaît et disparaît. Ces apparitions ne sont en fait que la multiplicité apparente de l’Unité qui les sous-tend. Réaliser cela, c’est réaliser l’unité dans la dualité, c’est réaliser que apparition et disparition ne sont qu’Un.
Mercredi 17 septembre 2014
Qu’est-ce que la méditation ? Je crois qu’il nous faut poser et reposer inlassablement cette question. Non pas comme un thème de réflexion, non pas en traitant l’objet méditation comme un objet conceptuel à définir encore et encore, mais plus radicalement en se demandant par exemple si elle existe. Finalement la méditation existe-t-elle ? Pas si sûr ! Se poser profondément cette question revient à bouleverser nos représentations et puisque nous sommes très disposés à répondre « évidemment qu’elle existe ! » nous voyons bien que nous sommes tout autant dans la résistance à admettre qu’elle puisse ne pas exister.
Existence et inexistence sont des concepts qui ont quelque chose à voir avec la souffrance. Si nous regardons en nous-mêmes, nous voyons bien que la souffrance apparaît lorsque quelque chose change ou disparaît dans notre horizon, dans nos repères. Nous souffrons lorsque quelque chose passe de l’état d’existant à l’état d’inexistant dans nos représentations. Nous ne pouvons d’ailleurs pas nous penser comme inexistant et cela est parfois profondément douloureux. Nous sommes pourtant dans la conviction d’exister et aussi la conviction que tout ce qui nous entoure existe bien. Il ne nous viendrait pas à l’esprit de douter de notre propre existence et de celle de tous les objets qui nous entourent. A bien y regarder, nous sommes pourtant gouvernés par la peur et le doute de la perte, de la séparation.
Se poser la question de l’existence ou de l’inexistence de la méditation, c’est un peu commencer à entrer dans la possibilité de travailler sur notre propre inexistence. C’est un retournement radical de fonctionnement. Poser la question « la méditation existe-t-elle » revient à poser la question « suis-je ? » ou « que suis-je ? ». C’est ouvrir à la peur, c’est ouvrir au vide, c’est regarder en face la réalité de la souffrance. C’est questionner la souffrance elle-même.
Mercredi 24 septembre 2014
Venir s’asseoir en méditation, c’est venir s’asseoir au cœur de notre peine, c’est venir s’asseoir au cœur de notre deuil, de notre malaise primordial, c’est se laisser pétrir par ce qui ne laisse jamais de nous tourmenter sans essayer d’y trouver un remède, sans essayer de changer quoi que ce soit, sans aucune tentative même subtile de transformation, sans intention quelle qu’elle soit. Venir s’asseoir en méditation, c’est accepter de rencontrer tout ce qui rate en nous, tout ce qui échoue, tout ce qui achoppe, tout ce qui ne débouche sur aucune solution, c’est accepter de rencontrer tout ce qui nous déçoit, tout le malheur qui nous accable, recouvert par le manteau des apparences du bien-être.
Quand on repose au cœur de notre peine primordiale, quand on y est totalement présent et nu, offert aux tourmentes de la forme, livré à ce qui Est, nous sommes comme le guerrier qui dépose les armes, qui renonce à combattre, qui entre dans le vide de l’inconnu et accepte de chuter au plus profond de lui-même, dans ses propres ténèbres.
Toucher ce lieu reculé et intime de soi-même, accepter de le rencontrer, revient à retirer notre carapace, retirer notre enveloppe et se laisser désarticuler, entrer dans l’informe.
Se tenir dans nos propres ténèbres, accepter de rencontrer toute notre part d’ombre a un effet de transformation parce que cela part d’une intense bienveillance envers nous-mêmes. Il ne s’agit plus de se protéger, il ne s’agit plus de mentir, de se cacher, de faire semblant, d’esquiver le malaise, il s’agit bien au contraire d’y pénétrer profondément totalement, sans conditions, comme on se rend sans conditions. Il est possible d’aimer même ce qui ne semblait pas aimable, même ce qui pouvait être redouté, craint ou encore haï.
Hors de tout concept et de toute pensée nous nous retrouvons.
Mercredi 1 octobre 2014
Assis sur notre coussin de méditation, nous n’apprenons pas à résister à nos peurs et à devenir forts ou encore insensibles. C’est en fait tout le contraire, nous apprenons à accueillir les états que nous avons l’habitude de fuir ou tenir à distance. Ce sont des états qui nous déstabilisent, nous donnent la désagréable sensation de ne plus rien maîtriser ou contrôler comme des grands moments d’incertitudes, de doutes, d’angoisses. Nous apprenons à les accueillir et à mieux les connaître.
Ce sont au fond tous les états qui rendent notre souffrance plus aiguë, plus incisive, plus évidente. Ce sont ces états de mal-être que chacun connaît de temps à autre. Ils survivent malgré tous les efforts que nous déployons pour nous accrocher à nos illusions.
Si la pratique de la méditation peut être liée à une recherche de mieux-être ou de confort, au désir de nous sentir davantage présent dans notre vie, il y a parfois un malentendu sur cette question dans le sens où la pratique de la méditation est d’abord et avant tout une descente en soi-même, une descente au cœur de nos défenses et de nos limites, de nos résistances, de nos blindages, de nos contreforts. Il ne s’agit pas d’apprendre à construire autour de soi des murs de protection encore plus épais pour mettre notre vulnérabilité à l’abri des incertitudes ou des changements. Il nous faut au contraire peu à peu apprendre à voir clairement nos propres fortifications pour en venir progressivement à les démolir pierre par pierre.
La pratique assise n’est qu’une pratique ponctuelle qui réunit les conditions pour mieux
observer nos tendances et nos mécanismes pendant un temps et dans un espace donnés. Il s’agit, au-delà de ces rendez-vous répétés, de poursuivre l’examen de nos stratégies, de nos actes, de nos
tactiques, tout ce qui tend à vouloir s’écarter de ce qui est tel que c’est. Bizarrement, c’est en parvenant parfois à s’abandonner au cœur de ce qui est sans rien y changer que nous nous
rencontrons. C’est là que nous avons une chance de sentir émerger ce rayon de lumière que nous poursuivons toujours du seul côté des choses agréables et rassurantes. En pratiquant ainsi, nous
nous entraînons d’instant en instant à ouvrir notre cœur dans des situations de plus en plus larges et riches.
Mercredi 8 octobre 2014
Assis sur notre coussin, assis dans notre corps tout entier, nous nous laissons pétrir par tout ce qui survient en nous. Fondamentalement, il n’y a pas d’agréable ou de désagréable. Nous nous laissons traverser par l’expérience sans cesse renouvelée de la présence à ce que Est, sans choix ni rejet.
Bien sûr au début nous partons de notre propre terrain qui a ses préférences et ses aversions. Nous ne pouvons faire autrement que de partir de là où nous en sommes. Le temps est nécessaire pour réaliser que la notion de bien-être va bien au-delà de ce notre pensée nous fixe comme limites. La pensée réduit notre liberté car elle s’en tient au expériences passées qui ont été par définition restrictives, réduites, singulières. Cela nous a enfermés dans l’idée d’une forme fixe, dépendante de ses goûts et de ses rejets pour se sentir exister. Nous devons pour élargir notre vision étendre notre regard vers des étendues bien plus vastes et libres que ce à quoi nous cantonne notre vision subjective. Il ne s’agit pas d’accumuler des expériences de satisfaction comme on étendrait notre pouvoir et notre contrôle sur les objets, mais prendre conscience de l’autre « bout de la lorgnette ». La pratique nous invite non pas à croire que nous allons enfin toucher l’expérience ultime, celle par laquelle se dévoile la clé du bonheur, mais à laisser progressivement se dévoiler notre potentialité humaine. Nous partons de nos barrières et de nos défenses de nos murs, de nos limites, de nos peurs, nous partons des barricades que nous installons et à toutes les croyances que nous alimentons. Nous partons de notre ordinaire dureté envers nous-mêmes pour aller vers la vulnérabilité, la fragilité et la tendresse, là où réside la grande force. La difficulté de la pratique est de nous laisser attendrir, de cesser la lutte, d’accepter le sentiment pénible d’être perdu et sans repères. Il y a une faille en chacun de nous, chante Léonard Cohen, parce que c’est par là précisément que peut entrer la lumière.
Mercredi 15 octobre 2014
La méditation que nous pratiquons ici ne consiste pas à atteindre ou même viser des états particuliers qui seraient censés nous élever au-dessus des difficultés de notre existence terrestre. La méditation que nous pratiquons tend à nous ouvrir, à nous éveiller à tout ce que la vie nous propose ici-bas. Elle nous propose surtout de découvrir que nous ne voyons pas réellement ce que la vie nous propose, mais ce que nous croyons y voir. Dans ce sens, elle ne nous mène pas vers un mieux-être au sens où nous l’entendons habituellement, elle ne nous mène pas vers un confort dans le sens classique du terme. Elle tend à nous montrer que confort et inconfort puisent dans les interprétations de l’esprit et elle nous questionne sur leur existence réelle.
Nous ne méditons donc pas pour nous sentir bien, ce qui peut surprendre plus d’une personne car qui ne souhaite pas se sentir bien ? Il se trouve que la méditation peut être utilisée à cette fin mais alors ce n’est qu’une partie de cette pratique, une partie tronquée de l’essentiel qui se trouve dans l’ouverture à tout ce qui est, bon comme mauvais.
La méditation nous ouvre à la possibilité de nous tenir ouverts et bienveillants envers tout ce qui advient, comme l’espace du ciel s’ouvre au soleil et au tonnerre.
Dans la méditation nos pensées, nos émotions, nos perceptions, tout ce qui advient peut devenir semblable à des nuages légers ou lourds, qui défilent et disparaissent. Le bon, l’agréable, le difficile, le douloureux, tout cela va et vient dans le vaste ciel de l’esprit. Il s’agit alors de rester présents à nous-mêmes quoi qu’il advienne, sans plaquer sur nos expériences les étiquettes de bien et de mal de bon et de mauvais de pur et d’impur.
Mercredi 22 octobre 2014
Pour diminuer notre souffrance, nous situons le plus souvent le problème à l’extérieur de nous-mêmes. Il se trouve qu’une situation nous contrarie ou nous dérange et nous la pointons comme cause de notre difficulté. C’est là un fonctionnement très répandu et habituel dans lequel il est facile de nous reconnaître.
Dans ces conditions, éviter ou mettre un terme à notre difficulté revient à éviter ou encore à transformer ce qui nous pose problème. Il peut arriver que l’on cherche à résoudre ce problème et que l’on y parvienne avec succès, ce qui nous invite à recommencer. D’une manière générale, nous essayons de nous détourner de la souffrance en nous centrant sur les circonstances extérieures.
Peut-être pensons-nous que la méditation est une façon de nous éloigner de tout ce qui peut nous poser problème, comme si nous apprenions à nous tenir à distance de tout dérangement par une attitude de l’esprit paisible et relativiste. Il s’agirait d’être en mesure d’éviter l’impact des troubles en développant une sérénité imperturbable.
La pratique est au fond la vie elle-même si nous acceptons l’idée qui consiste à reconsidérer notre rapport à tout ce qui nous pose problème, on pourrait dire reconsidérer notre rapport à l’insatisfaisant. La pratique est le lieu d’une rencontre et cette rencontre consiste à observer notre attitude, que nous soyons apaisés ou bien en difficulté. Il se peut par exemple que nous goûtions un instant un calme bienfaiteur et qu’ensuite les choses changent, que notre esprit se mette à galoper, que nous nous sentions énervés, en colère ou désespérés. Cela est un peu identique à ce qui se passe dans notre vie. Cependant ici nous acceptons de rencontrer ces changements, agréables ou désagréables, de les considérer comme tels et de vivre les expériences qu’ils suscitent en nous. Nous acceptons de voir nos schémas de résistance, de refus à l’oeuvre. Nous acceptons de voir notre volonté soumise à la difficulté de l’impuissance. En un mot nous acceptons de regarder en face la réalité telle qu’elle se présente sans la transformer à notre gré. Nous changeons d’attitude en faisant de la difficulté un fait intérieur inhérent à notre capacité d’adaptation.
La pratique n’est alors rien de spécial si ce n’est un entraînement à s’ouvrir
progressivement à la réalité. Il n’y a rien qui soit particulièrement mal ou bien, ceci ou cela, il y a ce qui est là et notre capacité à nous y trouver aussi.
Mercredi 5 novembre 2014
La méditation est comme une nourriture.
Chaque jour, nous alimentons notre corps. En même temps que nous fournissons à notre organisme des calories, c’est l’occasion pour nous de ressentir du plaisir, mais aussi d’épanouir, d’éveiller tous nos potentiels.
Nous pouvons aussi nourrir notre esprit en entretenant une certaine qualité d’attention, une qualité d’éveil qui donne vie aux germes de bienveillance, de douceur et de sagesse qui sont déjà en nous.
Nous pouvons par exemple de temps en temps revenir à notre respiration. Si nous sommes occupés par une situation qui sollicite notre attention et que nous avons alors suffisamment conscience d’être comme aspirés ou décentrés, nous pouvons marquer un temps d’arrêt et sentir notre respiration. La respiration est un objet d’attention auquel nous revenons régulièrement pendant notre pratique assise. Elle est toujours disponible. Si nous y regardons de près, nous verrons qu’elle change légèrement, qu’elle fluctue, qu’elle s’écoule de temps en temps comme une rivière limpide et profonde, et que parfois elle rencontre un obstacle et sursaute comme l’eau sur un rocher ou un haut fond.
Lorsque vous avez besoin de vous recentrer pendant la pratique accordez une attention particulière au temps d’expiration et laissez votre abdomen pousser vers le bas en vous centrant sur le Hara. Inspirez en relâchant cette légère pression et recommencez ainsi, cela aide à vous centrer.
Au début nous centrons notre attention sur un objet comme la respiration, pour que notre esprit soit maintenu dans une direction, mais Notre attention peut ensuite s’élargir vers notre corps tout entier, vers notre corps/esprit tout entier, cela pour embrasser toutes les perceptions, toutes les sensations, tous les phénomènes dans leur ensemble qui s’expriment au travers de ce support corps/esprit. Nous sommes dans cette conscience du Vivant qui habite ce corps/esprit et qui exprime sa Nature à l’aide de ce support. De cette façon, ce n’est pas une personne en particulier qui s’exprime mais le Vivant qui délivre sa Nature au travers de cette personne.
Ainsi, lorsque nous sommes accaparés par une situation, nous pouvons, par le recentrage
sur la respiration, ramener notre attention vers cette Conscience à l’œuvre et relâcher nos tensions en laissant la situation être ce qu’elle est, sans nous perdre dans la confusion.
Mercredi 12 novembre 2014
La méditation comme une rencontre du réel.
On pourrait concevoir le réel comme l’ensemble de tout ce qui survient dans notre présent immédiat, cela afin de le différencier de la notion de réalité qui pourrait correspondre alors à ce que nous interprétons du réel, ce qui en reste lorsque nous l’avons trié.
La pratique de la méditation vise à élargir de façon de plus en plus conséquente notre vision du réel. Pendant la pratique nous nous concentrons sur le corps et sur toutes les sensations et perceptions qui se présentent à la Conscience. De façon ordinaire, nous opérons un tri en faisant une lecture du réel qui est filtrée par notre subjectivité. Nous adoptons toutes sortes de stratégies qui visent à contenir les phénomènes et à les organiser de façon duelle, bon et mauvais, etc, avec toutes les infinies nuances habituelles.
Ici, nous tentons de demeurer dans la perception pure. La perception pure signifie que nous souhaitons devenir capable d’éprouver ce qui se présente à nous de la façon la plus proche de la perception. Cela revient à éprouver ce qui est tel que c’est. Eprouver ce qui est tel que c’est, c’est être libre. Pour cela il nous faut prendre conscience du tri habituel et peu à peu l’éliminer en le laissant se dissoudre. Ce tri correspond à notre esprit conditionné, notre ego. Nous pensons au départ que c’est cela que l’on nomme la conscience. L’expérience de la méditation nous ouvre une voie destinée à percevoir l’espace infini de la Conscience qui sous tend notre ego, afin que nous puissions accéder à une compréhension plus vaste de ce que nous sommes réellement.
Donc, pendant la pratique, si nous sommes dans un sentiment d’ennui, nous éprouvons à fond cette sensation jusque dans notre corps. Si nous sommes agités, nous l’éprouvons de tout notre corps également. Si nous sommes dans le refus, dans l’opposition, dans l’agressivité, dans le sommeil, dans la résistance, dans la douleur, dans la joie, c’est toujours au plus près de notre corps et des perceptions que nous nous tenons.
Ces sentiments qui nous traversent ne le sont que parce que nous formons un support qui leur donne leur coloration et que nous prenons ce que nous leur attribuons pour la réalité. L’ignorance et la confusion et donc la souffrance viennent de cette situation cocasse de ce que nous craignons quelque chose dont nous sommes les créateurs.
Dans la pratique de la méditation, nous nous entraînons pour demeurer dans le Réel, pour être dans la vie réelle, pas dans la simulation ou l’interprétation qui nous emprisonnent. Nous croiserons probablement encore toutes sortes d’émotions fortes dans notre vie, agréables ou désagréables. Ici, nous apprenons à les envisager dans une perspective plus vaste, nous apprenons à envisager le fait qu’elles sont dépourvues de toute substance. Lorsque cela devient une évidence, elles perdent leur force qui était en réalité celle que nous leur fournissions pour devenir, comme l’exprime Suzuki, « rien de spécial ».
Mercredi 19 novembre 2014
La pratique comme un dépassement.
Parfois nous sommes centrés sur ce qui va bien dans notre existence. Nous rencontrons des évènements agréables et nous nous sentons légers. Il peut nous sembler que c’est ainsi que devrait être notre vie. Parfois nous sommes dans la tourmente et tout semble aller de travers. Nous traversons des difficultés et nous sommes écrasés par la vie qui perd alors de son sens. Ces expériences qui vont et viennent en colorant notre vie paraissent comme une évidence pour chacun d’entre nous. Elles sont notre quotidien même. Nous devons cependant réfléchir sérieusement à la réalité de ces expériences. Existent-elles en nous ou bien en dehors de nous ? Ceci est très important. Que nous soyons dans l’émotion de la joie ou dans l’émotion de la peine, joie et peine sont-ils réels ou n’existent-ils que dans notre pensée ? Même si les émotions que nous ressentons sont bien réelles, même si notre ressenti est bien réel, où prend-il sa source ? Peine et joie existent-ils ou bien ne sont-ils présent à notre conscience parce que nous les séparons, que parce que nous les distinguons, parce que nous les opposons ? Venons-nous à la pratique pour apprendre à goûter la qualité du calme et du silence ? Venons-nous à la pratique pour apprendre à nous concentrer sur les aspects agréables de notre vie ? Le maître Dogen dit : « Même si nous l’aimons, une fleur fane et même si nous ne l’aimons pas, la ronce ou le chardon s’épanouissent ».
Lorsque nous rencontrons des problèmes, des chardons ou des ronces, nous devons nous questionner sur leur nature. Nous questionner sur leur nature nous amène à tourner notre regard vers nous-mêmes, à nous connaître. C’est la raison d’être de la pratique.
Lorsque nous voyons le jour, nous pensons « ceci est le jour » et de même pour la nuit. Comme pour nos problèmes, nous avons tendance à considérer un seul aspect de la réalité, un aspect limité. Si nous réalisons l’autre aspect où jour et nuit ne sont plus séparés par notre pensée, nous réalisons en même temps la nature des difficultés que nous rencontrons. Cette expérience dépasse notre pensée. Dans l’expérience réelle, unicité et variété sont une seule et même chose.
La pratique nous amène à cette compréhension profonde qu’exprime encore Dogen
ainsi : « Même à minuit, l’aube est là ». Jour et nuit sont une seule et même chose que l’on appelle tantôt le jour, tantôt la nuit.
Mercredi 26 novembre 2014
La pratique comme une interrogation
Pendant le temps consacré à l’assise, des questions diverses sont évoquées concernant notre relation à la pratique. Peut-être pour certaines personnes ces questions font appel à des notions trop intellectuelles et apparaissent plus ou moins utiles, pendant que pour d’autres il s’agira de se livrer à des réflexions dans le but de rechercher des réponses, de formaliser des concepts qui pourront les aider à comprendre ce que nous faisons. Mais au fond, les appréhender d’une façon ou d’une autre revient à adopter notre attitude ordinaire, à rejeter ou au contraire à saisir, en négligeant leur principal intérêt qui est de faire simplement surgir en nous une interrogation. Une interrogation n’est pas forcément le point de départ d’une réflexion. Une interrogation est ici comme un doute sur le fait même de rejeter ou de choisir ce qui est abordé.
Le rejet provient d’une position intérieure fixée, construite par la pensée. Cette position, ou opinion attribue à ce qui est perçu une valeur telle que c’est le rejet qui apparaît. De même pour l’appropriation, il s’agit à partir de ce qui est perçu de définir, de construire une opinion, une valeur qui n’est pas encore fixée.
Voir le caractère de ce qui apparaît dans une telle situation revient à voir les choses
telles qu’elles sont. Voir le caractère de ce qui apparaît signifie voir le mouvement de l’esprit qui effectue un choix, qui tend à prendre position. Le fruit est alors l’identification ;
j’existe en me positionnant ici ou là. L’interrogation est comme une suspension de la saisie qui est en cours. Il y a connaissance de ce qui veut saisir et suspension du processus, c’est-à-dire
non identification à ceci ou à cela. Venir pratiquer et s’asseoir consiste à répéter cette expérience pour tout ce qui survient dans notre esprit et notre corps.
Mercredi 03 décembre 2014
A chaque instant de notre vie, nous sommes confrontés aux limites. Notre corps est
limité dans l’espace. Le temps de notre existence est limité. Toutes les actions que nous entreprenons sont limitées dans leur efficacité, leur résultat. Il est pour nous impossible de nous
appuyer sur quelque chose de tangible et durable. Cela engendre la souffrance. Notre souffrance vient principalement de ce que nous pensons. Nous pensons être ce corps limité dans l’espace, nous
pensons qu’au-delà de la limite de temps impartie pour ce corps, c’est le néant, nous pensons que peut-être nous pourrons par nos actions saisir quelque chose et enfin nous reposer. Il nous faut
cesser toute action et donc lâcher tout tentative de but pour entrer dans l’observation profonde de cette conscience que nous appelons « je ». A l’intérieur de cette observation, nous
nous donnons l’occasion d’éclaircir notre regard, de nous extirper du cycle de la pensée et de la souffrance qu’elle engendre. Le regard devient clair lorsque l’identification cesse. Il y a au
début l’attention et la concentration vers toutes les formes observables et sensibles : le corps, la posture, la respiration, les phénomènes tels que perceptions, sensations et parfois
émotions. Cette concentration est encore dans la dualité : l’observateur d’un côté et les objets observables de l’autre. Si l’attention est soutenue, observateur et objet observé deviennent
plus intimes et bientôt se fondent dans une unité qui est la Conscience Vaste, illimitée. Cette conscience inclut l’ensemble de tout ce qui est là, elle est multiplicité et en même temps unité.
Toucher cette conscience vaste, c’est comme se trouver touché par notre véritable nature, l’éprouver de première main. « Vous êtes Cela » disent les enseignements. Maintenant, il y a
bien les limites dans le monde des formes que nous connaissons, il y a bien un corps, une existence, des actions limitées, mais en même temps se pose à nous cette vision nouvelle ;
« N’y a-t-il que cela ? ».
Mercredi 10 décembre 2014
Pendant l’assise, nous sommes dans la pleine conscience des perceptions, quelles qu’elles soient. Nous sommes totalement investis au niveau de notre attention dans tous les phénomènes causés par nos sens.
Au début, notre attention peut se centrer sur différentes sensations, comme les contacts du corps avec le sol, la verticalité du dos, le contact des mains et des doigts, etc. Nous sommes aussi attentifs aux sons autour de nous et parfois en nous. Nous percevons les odeurs, etc. Tous ces contacts tendent à nous ramener au corps et diminuer, atténuer ainsi le discours intérieur, la pensée discursive. Nous pouvons ensuite avoir une attention plus globale, entière.
De façon générale, nous utilisons les messages provenant des sens ou encore des pensées un peu comme des éléments de construction qui entretiennent l’impression d’un « je » qui éprouve. Cela fait que de l’intérieur, le ressenti qui est éprouvé devient « c’est moi qui l’éprouve ». De façon quasiment inconsciente, les perceptions deviennent « nos » perceptions. Elles viennent construire une entité fictive mais c’est cette entité qui pense ressentir et ainsi exister en tant qu’entité.
Il n’est pas question dans la pratique de créer encore une entité qui percevrait ces mécanismes de l’esprit. Ce serait toujours « nous » qui en serions à l’origine. Lorsque nous disons « se concentrer sur la respiration » ou « se concentrer sur le corps », cela signifie fixer notre attention sur le percept de façon soutenue sans que ce soutien s’effectue par la pensée « je sens ceci ou cela ». L’attention est différente de la pensée. L’attention est une énergie qui permet de sélectionner le champ des perceptions. Elle ne peut se fixer sur deux choses à la fois au niveau de l’immédiateté. C’est de cette façon que l’on peut comprendre la phrase de Dogen : « s’étudier c’est s’oublier ».
Pour résumer, nous pouvons au départ utiliser notre attention dans la multiplicité, en prenant en compte les différents points du corps dans la posture. Peu à peu nous pouvons aller vers une attention globale, qui inclut les perceptions dans un ensemble perceptif. La qualité de notre attention doit toujours être soutenue et se fixer sur le percept seul, la perception, excluant toute représentation qui perçoit. Cette absence de représentation peut être comparée à l’espace blanc entre des pointillés noirs dont chacun serait « je ». Il correspond à l’oubli intermittent d’un soi percevant.
La pratique se fonde sur la part irreprésentable de la conscience. Toute tentative
d’exprimer quoi que ce soit à ce sujet est donc vouée à l’échec. On peut cependant approcher les mots au plus près de l’irreprésentable, un peu comme en les suivant et en nous concentrant
totalement sur la perception, nous pouvons être amenés à totalement nous oublier, à totalement cesser de nous représenter.
Mercredi 17 décembre 2014
Voir les mouvements de notre esprit est très important. Le temps consacré à la pratique assise est le moment le plus approprié pour observer les mouvements de notre esprit, bien que nous puissions le faire à d’autres moments. Notre esprit est continuellement traversé par quelque chose que nous pouvons appeler des phénomènes, sachant que les mots sont fondamentalement impuissants à qualifier ce qui se passe dans notre esprit. Ces phénomènes prennent leur origine pour la plupart dans nos organes des sens, ainsi que dans tout ce qui surgit dans notre mental. Nos organes des sens sont notre lien avec le monde extérieur. Ils nous permettent de communiquer avec les objets, que ce soient les objets matériels y compris les personnes mais aussi nos objets intérieurs comme les concepts qui se tiennent derrière les mots. Nos organes des sens nous fournissent des perceptions au niveau du corps ; nous percevons le sol qui nous porte et aussi notre corps dans l’espace, de même que différentes perceptions plus ou moins ponctuelles, plus ou moins fluctuantes ou durables. Remarquez que dès que nous disons sol ou espace, nous sommes déjà dans des concepts. Notre esprit est déjà dans un mouvement qui est toujours un mouvement de saisie et donc d’identification. Sol n’existe que relativement à espace, sol comme espace font partie de la dualité dans laquelle nous évoluons. Si nous voulons être plus exacts nous pourrions dire que sol et espace n’existent que parce que nous les créons. Nous les créons parce que c’est cet acte de créer qui nous crée également. Ils n’existent que relativement à notre capacité de les penser. Pour les faire exister nous devons les nommer et c’est parce que nous les nommons que nous pensons exister.
Pendant la pratique assise, nous pouvons prendre conscience des mouvements de l’esprit
et observer que ceux-ci apparaissent pour nous de façon concomitante à l’apparition d’un observateur. C’est de cette façon que nous créons la dualité à chaque instant. C’est de cette façon que
nous apparaissons et que tous ces pointillés donnent l’impression d’une continuité, d’une personne. Ces perceptions ou sensations se poursuivront-elles si l’observateur disparaît ? Le monde
existe-t-il sans la présence d’un observateur ? Une personne existe-t-elle par elle-même ? Cette question est universelle et à l’origine de toutes les pratiques. Qu’est-ce que la
réalité ? D’où ce que nous définissons comme réalité tire-t-il son existence ? Peut-on même parler d’existence ? Voilà le départ de notre recherche, voilà la limite conceptuelle à
laquelle nous pouvons nous tenir pendant notre pratique assise.
Dimanche 21 décembre 2014
1ère séance
Pendant la pratique assise, nous sommes totalement investis dans les perceptions relatives au corps. Nous sommes également dans la pleine attention aux sensations qui surgissent dans notre esprit, aux éventuelles saisies que nous sommes de cette façon amenés à conscientiser, à observer puis à lâcher. Au départ il y a bien la conscience d’une personne, il y a bien la conscience d’un corps, d’un corps/esprit qui effectue une action précise et définie.
Cette pensée ordinaire ramenée à la personne, à l’ego, constitue à la fois une base de départ nécessaire et en même temps une limite à ce que nous appelons l’esprit vaste ou la conscience vaste, faute de mieux. Nous disons esprit vaste mais quel que soit le nom que nous donnons à cela, le plus important est de considérer la nature de cet « objet ». En tant que personne, nous créons naturellement un objet/but qui correspond à notre recherche. Nous le matérialisons par un nom et nous exerçons une action en vue de l’atteindre.
Lorsque nous nous trouvons dans l’assise, dans la pratique elle-même, nous sommes dans une attitude très particulière car nous effectuons bien une action qui est représentée par tous les points concernant la pratique, toutes les opérations d’observation et de perception, etc., et en même temps nous devons intégrer le fait que ce que nous poursuivons n’est pas un objet comme les autres, ne représente pas un résultat tangible. De ce fait, lorsque nous portons simplement notre attention vers tous les phénomènes, présents en nous, nous les rapportons non à une entité qui est censée les ressentir, mais à la manifestation telle qu’elle est de productions infinies, n’ayant à la fois ni début ni fin, ni forme ni non-forme, ni réalité ni irréalité.
C’est pour cette raison que nous disons ou lisons dans les ouvrages que la pratique est bien un chemin vers une destination, et en même temps que la destination est le chemin lui-même. C’est-à-dire que s’asseoir est bien la pratique incluant l’éveil lui-même.
Cette compréhension est importante car lorsque nous prenons place sur notre coussin et lorsque nous portons notre attention vers les productions du corps/esprit, c’est elle qui fait que nous sommes bien dans ce corps qui peut se nommer mais aussi au-delà de cette représentation égocentrique, au-delà de cette seule conception limitée de nous-mêmes. De la même façon que nous ne nous en tenons pas à la représentation égocentrique de nous-mêmes, nous ne nous en tenons pas non plus à un objet qui serait à expérimenter dans notre recherche. C’est le fait de se situer au-delà de l’obtention qui crée le juste état d’esprit, c’est le fait de se situer au-delà de l’obtention qui est la véritable obtention elle-même.
2ème séance
Notre pratique a parfois besoin de mots et donc de représentations. Nous avons besoin de comprendre ce qu’elle n’est pas pour embrasser ce qu’elle pourrait être. Nous faisons des aller et retour entre les représentations et l’absence de représentations, la pratique elle-même. Nous sommes à la fois dans la dualité, dans les limites et en même temps nous élargissons notre compréhension de la réalité vers des horizons plus vastes, vers l’infini du cosmos tout entier, vers l’infini comme Un. Rien ne change dans le monde que nous connaissons, ni le monde, ni nous. En même temps tout change et déborde au-delà des limites que nous tenions pour fixes.
Ainsi lorsque nous installons, nous intégrons ces deux aspects dans notre posture. Il y a bien deux jambes qui expriment d’une certaine façon la dualité. En même temps elles forment « un » en se croisant, en s’unissant. Cette position exprime l’unité. Il y a à la fois dualité, multiplicité, variété, mais aussi unité. Si nous pensons seulement en termes d’unité, c’est faux. Nous sommes portés par une conception erronée de la pratique. Si nous pensons seulement en termes de dualité, c’est faux aussi. De même que nos jambes, notre corps et notre esprit semblent deux mais ils sont comme les deux côtés d’une même pièce.
Dans la posture, nos mains expriment également à la fois la dualité et l’unité par le moudra qu’elles représentent au niveau du nombril. Si nous y regardons de près, les pouces sont à la fois unis et désunis, en contact et sans contact. Le contact est maintenu de façon subtile pour être existant et inexistant.
Notre corps s’étire dans l’espace et nous distinguons bien les deux, corps et espace. Mais il se peut que ce soit l’espace qui porte notre corps si corps et espace deviennent totalement intimes. Corps et espace ne seront alors plus ressentis comme distincts mais comme une unité. Cependant cette unité n’est pas quelque chose de nouveau qui vient prendre la place de la dualité. Les deux existent ensemble alors que dans notre esprit ordinaire si ce n’est pas deux, c’est un ou inversement.
3ème séance
Dans la forme elle-même se tient la non forme. Habituellement nous ne voyons que la part formelle des choses. Nos sens nous livrent des messages qui donnent forme au temps, à l’espace, à un corps que nous attribuons au penseur, ainsi que des convictions, des opinions. Nous voyons les objets autour de nous. Il y ceux que nous aimons et ceux que nous rejetons. Nous créons une infinité de catégories dans lesquelles nous nous reconnaissons et nous nous distinguons. Le seul problème que cela pose est la limite qui se trouve ainsi fixée par ce comportement. Là se trouve la racine de notre souffrance car nous nous éloignons de l’aspect large et uni de notre existence pour nous distinguer au point que nous n’existons qu’au travers de notre pensée et de l’identification à notre pensée.
Dans la forme se tient la non forme signifie que nous avons une direction où aller. Nous pouvons partir de cette forme qui est la nôtre. Les repères qui sont les nôtres aujourd’hui peuvent être des portes qui s’ouvriront largement vers un horizon plus vaste.
Pendant la pratique, nous partons des formes. Il y a les formes de l’espace autour de nous, il y a la forme de la posture, du corps dans l’espace. Il y a les formes des perceptions et les couleurs que nous leur attribuons. Il y tout ce qui apparaît de façon formelle dans la conscience. Conscience à laquelle nous donnons encore une forme en la nommant.
Dans cet espace limité se tient l’illimité. Nous partons de ce qui se tient sous nos
pieds, la Voie commence là où nous nous tenons et nous pouvons nous appuyer sur nos repères habituels de façon déterminée. Il n’y a pas de notion de Voie ou de quelque chose de spécial. La
pratique ne demande pas d’attente spéciale. Ainsi est l’esprit du débutant. En nous concentrant totalement sur les formes, au sens où notre effort est constant et soutenu, nous entrons
naturellement et inconsciemment dans l’informe. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise pratique, seulement une attention soutenue s’oubliant elle-même, seulement une attention sans attente,
c’est-à-dire sans sujet qui attend.
Mercredi 07 janvier 2015
Pendant la pratique assise, nous commençons par revenir au corps, à la conscience corporelle. Notre esprit est souvent porté vers l’extérieur, vers divers objets qui accaparent notre attention et éloignent notre attention du corps, des perceptions.
Nous revenons vers notre centre, vers nous-mêmes, vers notre corps. Nous pouvons effectuer cet exercice de façon totalement consciente, par exemple porter notre attention vers l’extérieur, vers un objet habituel, attractif, puis consciemment ramener l’attention vers la présence du corps, la conscience du corps. Si les objets extérieurs exercent une attraction puissante, cela sera plus difficile, mais nous faisons alors l’expérience de cette difficulté à lâcher les points qui attirent notre intérêt. Nous expérimentons l’aspect discursif de notre esprit, que l’on compare parfois à un singe fuyant et bondissant, échappant à tout contrôle.
Lorsque notre esprit est agité, nous essayons de développer un contrôle plus strict en choisissant par exemple un objet comme support d’attention. Cela peut être la conscience du corps ou d’une de ses parties ou encore la respiration. De cette façon nous tenons notre attention comme un conducteur tient les rênes de son attelage. Nous l’empêchons d’aller à droite ou à gauche et de suivre ses impulsions.
Si peu à peu notre esprit se calme, nous relâchons naturellement notre contrôle. C’est un peu comme élargir l’espace de liberté de notre conscience dès lors que notre mental est moins enclin à assouvir ses impulsions. Les objets qui traversent notre conscience exercent moins ou plus du tout de fascination et défilent comme autant de nuages ou de phénomènes dans le ciel de notre esprit. Ils deviennent simples manifestations qui apparaissent, se déploient puis disparaissent, semblables à nos propres existences.
Mercredi 14 janvier 2015
L’état de satisfaction est l’état naturel. Notre état naturel est « oui ».
Nous divisons habituellement la satisfaction et l’insatisfaction. Ce sont deux notions que nous opposons. Nous ressentons le sentiment de satisfaction comme quelque chose d’agréable, tandis que l’insatisfaction nous procure un sentiment désagréable. Nous pouvons dire que ces deux notions existent bien et que leur différence existe bien car nous les éprouvons bien.
Il faut remarquer cependant que ces notions sont liées à des objets. Elles existent relativement à des objets. Nous existons dans le monde des formes et notre ressenti est très dépendant des formes que nous rencontrons. L’objet « beau temps » peut me procurer de la joie, ou l’objet « nourriture », ou « enfant », ou l’objet « Dieu », en fait n’importe quel objet que nous affectionnons. Il y en a un nombre infini. A l’inverse d’autres objets suscitent du rejet, de la tristesse, de la colère, etc. L’effet de ces différents objets, positif ou négatif, est en lien à son tour avec notre histoire personnelle, celle de notre groupe social, etc.
Notre dépendance aux objets, la recherche de ceux qui nous satisfont et l’évitement de ceux qui nous repoussent génère de la souffrance. Cette situation est l’état de souffrance décrit par Gauthama, le Bouddha historique. Il repose sur la croyance que notre bonheur repose sur les objets.
Un premier pas vers la résolution de la souffrance consiste parfois à pousser cette croyance vers son extrême, en choisissant un objet au-dessus des autres et en le vénérant pour obtenir des mérites et gagner, sentir enfin le sens de cette existence. Nous essayons de forcer les formes et de les vaincre par l’adoration et la vénération, l’idolâtrie.
Cette situation, si elle peut procurer de la réassurance de façon ponctuelle, ne mène pas à la véritable compréhension de la souffrance, mais plutôt à une forme de misère du cœur. Elle force les séparations et donc les conflits intra et interindividuels, elle oppose les groupes communautaires ; de la souffrance naît la violence nourrie par la Vérité de chacun, installé sur les barricades de son credo, sur la forteresse de son ego. Le combat que se livrent les bons et les mauvais objets dépassent l’esprit et s’étendent à la communauté. La division intérieure se propage à la lutte extérieure. Bonne personnes, mauvaises personnes.
La pratique est l’occasion de pacifier l’esprit en se rapprochant d’une compréhension
plus juste qui passe par la découverte graduelle et immédiate de l’unité. Unité signifie que la séparation bon et mauvais n’existe que sur le plan relatif, qu’il s’agit d’une croyance liée à la
seule expérience de la dualité. Tant que nous sommes assujettis aux formes, nous donnons le pouvoir aux formes. Nous ne connaissons qu’un seul aspect de la conscience, son aspect limité aux
formes. Nous sommes aveugles. La notion d’éveil est liée à la découverte que nous sommes prisonniers d’une croyance, découverte elle-même liée à l’expérience de l’état de satisfaction hors des
formes. La libération est la libération de la soumission aux formes. La Conscience a toutes les formes et aucune forme spécifique. L’état de satisfaction est indépendant des formes, il est notre
état naturel. "Non" crée la séparation, "oui" crée l’unité.
Une seule pratique.
Shunryu Suzuki, maître zen, comme vous le savez, disait parfois à ses disciples d’oublier le bouddhisme, d’oublier le zen. Son intention en disant cela était de dissuader les étudiants de s’identifier à une pratique, à un mode particulier de pratique spirituelle. En s’identifiant, c’est-à-dire en s’appropriant les enseignements de telle ou telle école, on transfère simplement notre fonctionnement ordinaire dans le domaine spirituel, alors que la pratique nous invite à prendre conscience de l’aspect erroné de ce fonctionnement. Elle nous invite à regarder au-delà des concepts et non à fabriquer un nouveau qui s’appellerait par exemple « zen » ou toute autre chose. Le zen n’est pas une pensée, une école de pensée, il est l’abandon de toute pensée. En cela, toutes les écoles spirituelles se ressemblent.
Ramana Maharshi, maître indien très célèbre, proposait aux débutants de partir du sentiment intérieur « je ». Si leur attention se trouvait distraite par des pensées ou constructions mentales, ils devaient revenir à leur objet. Dans les premiers stades de cette pratique, le sentiment du « je » est une activité mentale sous la forme d’une pensée ou d’une perception. Lorsque la pratique se développe, la pensée ordinaire « je » cède la place à un état de conscience plus large qui cesse de se relier et de s’identifier avec les pensées et les objets. Ce qui demeure est alors comme l’expérience d’être dans laquelle le sens de l’individualité a cessé temporairement de fonctionner.
Au début l’expérience peut être intermittente mais avec une pratique prolongée elle devient de plus en plus facile à trouver et à conserver. Quand l’auto-investigation atteint ce niveau, la conscience de l’être de fait sans effort et l’agir individuel n’est plus possible puisque le « je » responsable de l’action a cessé temporairement d’exister. Ce n’est pas encore la réalisation du Soi mais c’est le plus haut niveau d’expérience.
Cette pratique, même si elle ressemble à un exercice de concentration au début, n’a pas pour but de réprimer l’esprit ou de contrôler les pensées. Elle fait appel à la prise de conscience de la source d’où jaillit l’esprit, c’est-à-dire à la prise de conscience que nous ne sommes pas ce « je », mais une conscience plus vaste que nous pouvons expérimenter de première main.
Il est important pour nous de dépasser l’idée d’une pratique singulière qui serait le
zen ou le soufisme ou le christianisme, pour nous ouvrir, comme le suggérait Suzuki, à ce qui unit toutes ces singularités. Nous voyons qu’il n’y a en fait qu’une pratique, qu’une seule unité qui
se décline en autant de multiples et à laquelle nous pouvons faire totalement confiance, celle qui nous mène à la réalisation de notre nature vaste.
Mercredi 28 janvier 2015
Aimer le « désagréable ».
Il est possible et même fréquent que l’espace de temps consacré à la pratique assise puisse nous apporter de la détente et du bien-être. Détente au niveau de notre corps si la posture est devenue relativement familière et aisée. Détente psychique si notre corps n’est pas une préoccupation et si notre esprit parvient à un recul par rapport aux pensées.
Dans ces conditions il se peut que notre regard sur cette pratique y trouve une forme de justification.
Parfois cette détente est absente pour des raisons diverses. Il est même possible que le temps de pratique soit pénible. Nous en venons parfois à nous demander pourquoi pratiquer pour obtenir si peu de bénéfices.
A y regarder de plus près, dans le premier cas, nous répétons en fait notre schéma ordinaire. Nous apprécions l’agréable lorsqu’il est présent et cette satisfaction est suffisante. Au fond nous ne désirons rien de plus que la satisfaction. Dans le deuxième cas, la réalité nous rejoint et la souffrance avec elle. La satisfaction ne nous a rien appris car dès que nous sortons de ses repères, rien ne va plus.
Si la pratique peut nous apporter des bénéfices, c’est dans le deuxième cas que nous avons l’occasion de les rencontrer. C’est pour nous le moment de tenter d’élargir notre rapport au monde, lequel se limite le plus souvent au seul agréable. La souffrance, la douleur, constituent un aspect incontournable de notre vie humaine. Même le méditant le plus expérimenté connaît la souffrance. La question qui se pose à nous est de savoir comment rencontrer l’inévitable, comment embrasser l’insatisfaction, l’affliction, avec quel esprit ?
Nous ne méditons pas pour nous sentir toujours bien, toujours satisfaits. Il s’agit de comprendre par l’expérimentation les rapports d’identification que nous entretenons avec nos constructions mentales, nos états d’esprit. Dans la méditation, nos pensées, nos émotions peuvent devenir semblables à des nuages qui se forment et se déforment dans le ciel de l’esprit. Le bon, l’agréable, le déplaisant et le douloureux, tout cela va et vient. L’essence de la méditation consiste donc à s’exercer à quelque chose qui n’est pas habituel dans nos modes de fonctionnement ; il s’agit de rester présent à ce qui advient, quoi qu’il advienne, aussi bien ce que nous étiquetons d’agréable ou de désagréable. La méditation représente une ouverture d’esprit bienveillante, une capacité à demeurer présent à soi-même dans chaque situation traversée. Nous nous ouvrons à ce que la vie nous apporte, conscients que notre souffrance est à la proportion de nos limites, de nos refus, de nos dénis.
C’est avec cet état d’esprit que nous abordons ce que nous qualifions de désagréable, avec une interrogation silencieuse sur ce qu’il en est réellement de cette sensation, de cette émotion. Nous éveiller à cette vie peut alors devenir nous libérer de nos propres restrictions, de nos barrières intérieures, de tout ce que nous avons séparé, divisé, rejeté. En nous ouvrant de plus en plus largement, en nous laissant pétrir par tout ce qui survient en nous, ce qui était un écueil encore hier peut devenir un fruit aujourd’hui. Riches de cette expérience nous sommes invités à considérer ce que nous appelons écueil aujourd’hui pour en faire peut-être un fruit nouveau demain.
Mercredi 4 février 2015
Pendant la méditation, nous abandonnons notre compréhension rationnelle, notre compréhension ordinaire, pour nous ouvrir à une forme de compréhension plus large, qui dépasse notre raison, qui s’étend bien au-delà de notre entendement limité. Notre compréhension ordinaire se limite au domaine relatif, au rapport de cause à effet sur les formes, tandis que notre conscience vaste embrasse et dépasse l’ensemble des phénomènes dont nous sommes partie intégrante. Pratiquer revient à transformer radicalement notre rapport aux formes et au monde, cela parce que la conscience vaste qui vit en nous et les formes qui paraissent exister hors de nous forment maintenant un même et vaste ensemble illimité.
Nous savons que notre souffrance tient à ce que nous nous en remettons à notre raison pour accéder au bonheur et à la liberté. Nous faisons l’expérience tout au long de notre vie que nous lui accordons là un pouvoir qu’elle ne peut satisfaire, sinon de façon très relative.
Nous sommes un peu comme les gouttellettes d’eau dont parle Shunryu Suzuki dans son ouvrage « Esprit zen esprit neuf ». « Je suis allé, dit-il, au Yosemite National Park où il y avait d’immenses chutes d’eau. Elles sont tellement hautes que l’eau semble descendre tellement lentement, d’autant qu’elle se sépare en une multitude de fines gouttelettes qui virevoltent dans la lumière avant d’atteindre la sol. Il m’a semblé alors que notre vie humaine était un peu ainsi, à l’image de ces gouttes d’eau séparées qui vivent une expérience bien singulière depuis le sommet de cette haute montagne. Notre vie passe par beaucoup d’expériences difficiles.
En même temps, à l’origine, l’eau n’est pas séparée, elle forme une rivière entière, une unité.
A notre naissance, nous faisions un avec l’univers. Nous étions dans la non-forme, en unité parfaite avec le cosmos, ce qu’on appelle le Grand Esprit ou l’Esprit Vaste. La naissance nous a séparés de cette unité, comme le vent et les rochers séparent l’eau qui tombe de la montagne ».
En entrant dans le monde des formes, nous avons la sensation, la perception. De là nous élaborons la réflexion et avec elle le concept d’une personne, d’un ego séparé, limité, fini. Cet état est celui de l’ignorance ordinaire qui entretient la souffrance fondée sur l’idée de séparation. Cette séparation nous pousse inlassablement vers l’unité, à commencer par celle fondée sur la saisie des formes.
La pratique est souvent comparée à un chemin, celui qui nous invite à retrouver cette unité que nous croyons perdue. En revenant à nos perceptions, à nos sensations et à tous les phénomènes produits par notre existence, nous nous donnons la possibilité de les vivre non plus comme appartenant à telle ou telle forme mais comme l’expression de la Conscience Vaste elle-même, comme l’expression du Grand Esprit lui-même.
A l’image des gouttelettes séparées n’ayant jamais perdu leur qualité fondamentale
d’eau, nous découvrons, tout au fond du grand silence de l’esprit, cette même qualité fondamentale d’être qui n’a jamais cessé de nous animer.
Mercredi 11 février 2015
Nous sommes des apprentis. Nous devons tenter de parvenir à voir les choses car nous sommes dans la totale ignorance de la Réalité. Le souhait premier que pourrait formuler un être humain serait d’avoir le bonheur de voir la Réalité. Ce serait aussi un souhait ultime. Qui prétend méditer et qu’est-ce que cela signifie ? La pratique de la méditation est-elle différente de notre pratique quotidienne ? Dans l’une comme dans l’autre nous avons en fait à nous placer dans une attitude, une disposition, qui soit au départ définie, choisie, installée en conscience. Cette disposition consiste, vous le savez, à tourner notre attention vers tous les phénomènes qui viennent se manifester à notre conscience. C’est un parti tout à fait différent de ce que nous faisons habituellement en tant que conscience personnelle. Pour être précis, nous ne dirions pas que nous pratiquons quelque chose comme la méditation, nous dirions simplement que nous pratiquons l’attention consciente, ou pleine conscience, comme l’enseigne par exemple Thich Naht Hanh.
C’est ce que nous faisons ici et cela peut être fait partout et à chaque instant. Tourner notre attention vers les phénomènes qui se produisent en nous est simple et consiste d’abord à être sensible à leur apparition au moyen de nos sens. Les informations du monde environnant transitent par nos sens. Il s’agit donc de conscientiser certaines informations au moyen des sens. Les traiter toutes serait impossible. Au départ, nous assisterons peut-être à une cacophonie où beaucoup de sensations s’entrechoquent. Peu importe. Tel un vaste entonnoir, nous avalons puis laissons filer ces perceptions, ou sensations ou associations mentales.
Nous avons besoin pour cela de toute notre acuité d’esprit. Nous ne pouvons pas perdre un instant. Notre attention se consume tel un feu, un brasier, nous ne manquons pas un seul instant ce cette grande activité de l’esprit. Rien n’est pire pendant la pratique de l’attention que de nous laisser peu à peu bercer dans une sorte de halo brumeux, un brouillard protecteur.
Cette conscience ou s’impriment puis s’effacent aussitôt des milliers d’informations est la Conscience elle-même, la Grande Activité. Elle inclut le cosmos. La laisser s’exprimer telle qu’elle s’exprime dans notre conscience individuelle revient à laisser émerger, percer, l’expression de son Unité au travers de la surface duelle, séparante, déformante, de nos singularités.
La pratique de l’attention consciente ne possède que la seule qualité d’attention. Elle
ne devient jamais quelque chose de spécial. Elle n’est pas émerveillement, ni déception, ni joie, ni rejet, ni rien qui corresponde à aucune sorte d’évaluation, de choix, de jugement,
d’appréciation, d’interprétation. L’œil de l’attention est comme le rocher sur lequel bondit inlassablement l’eau vive du torrent.
Mercredi 18 février 2015
Lorsque nous sommes assis, nous sommes simplement conscients de l’activité de l’esprit. Habituellement nous portons notre attention vers les manifestations mentales et à partir de cela, nous nous livrons à une spéculation, c’est-à-dire que nous en produisons d’autres, créant ainsi tout une suite de constructions qui s’emboîtent les unes aux autres à l’infini. Ces productions sont des pensées destinées à transformer « ce qui est » en « ce qui pourrait être ». Nous puisons des informations brutes dans notre environnement et nous les transformons en produits élaborés au moyen de notre pensée. Cela revient à puiser des fragments premiers de réalité pour les assembler afin d’en construire une seconde qui soit bien « nôtre ». Si elle devient nôtre c’est bien signe que nous existons. Il y a bien « nous » qui reconnaît c’est-à-dire qui crée une réalité propre et reconnaissable. Il y a bien un sujet qui crée une réalité appelée « subjective ». C’est cette création de l’esprit qui nous donne naissance et c’est la continuité de cette activité créatrice qui nous donne l’impression d’une personne qui existe et perdure dans le temps.
Lorsque nous sommes assis il y a simplement observation de l’activité de l’esprit. Il serait plus exact de dire : il y a simplement activité de l’esprit. Ce qui se produit dans l’esprit est le bruit du monde, le bruit de l’existence, le bruit de la Grande Activité. Ce bruit pourrait aussi s’appeler Silence car il ne s’y oppose pas comme dans les mots de la langue. Bruit et silence sont des concepts que l’on plaque sur les phénomènes pour les qualifier. Lorsque nous sommes assis, bruit et silence se confondent, de même qu’immobilité et mobilité ou haut et bas, ou temps et non temps, ou espace et non espace.
Suzuki dit : « Notre esprit suit notre respiration. Quand nous inspirons l’air
vient dans le monde intérieur. Quand nous expirons l’air va vers le monde extérieur. Le monde intérieur est illimité et le monde extérieur aussi. Nous disons monde intérieur et monde extérieur
mais il n’y a en fait qu’un seul monde total. Dans ce monde illimité l’air entre et sort par une porte battante. Si nous pensons « je » respire, le je est en trop. Ce que nous appelons
je est une porte battante qui va et vient quand nous respirons. Cette compréhension est très importante. En fait ce n’est pas une compréhension mais l’expérience directe de la réalité et de la
vie à travers la pratique ».
Mercredi 25 février 2015
Lorsque nous sommes assis dans le temps de la pratique, installés dans la posture du corps, nous ne laissons pas notre esprit vagabonder vers des pâturages plus attrayants, vers des ailleurs et autrement, vers autre chose que ce qui EST. Nous ne cherchons pas à remplacer « ce qui est » par « ce qui pourrait être ». Nous ne pouvons sinon pas vivre totalement notre vie. Nous continuons de construire sur la réalité « première » une autre, une « seconde », qui la voile et nous nous privons ainsi de la possibilité d’éprouver la non dépendance à ce qui est, qui est la véritable liberté à laquelle nous aspirons. En fait nous demeurons dans le recherche de liberté du « moi », qui évite l’indésirable et recherche le désirable. Nous confondons liberté relative, qui est une illusion, un non-sens et véritable liberté.
Ainsi lorsque nous sommes assis sur notre coussin, c’est le signe, c’est le temps pendant lequel nous nous accordons l’opportunité d’une rencontre, rencontre avec ce qui est tel que c’est. Si nous percevons la sensation de la chaleur par exemple, nous laissons la rencontre avec cette sensation se faire pleinement. Cette attitude est très différente de celle que nous adoptons le plus souvent et qui consiste à réagir selon la qualité dont nous étiquetons la sensation. La chaleur peut parfois nous satisfaire auquel cas nous vivons cette sensation comme plaisante et nous éprouvons du plaisir. Dans le cas contraire, le déplaisir éprouvé génère en nous une tension qui nous pousse à agir dans le sens inverse, c’est-à-dire soit agir et transformer le contexte, soit, si nous sommes dans l’impossibilité d’agir, de reporter notre acte en nourrissant la pensée d’un but qui demeure de changer la situation. Il est intéressant pendant la pratique de voir clairement ces mouvements de l’esprit.
Si nous éprouvons des émotions qui ne dépendant pas du contexte extérieur, des sensations comme de l’angoisse, de la tristesse, etc, nous pouvons également tenter de laisser s’éprouver le véritable goût de ces émotions. Nous disons « être UN avec ce qui est ».
Les événements de notre vie vont continuer à survenir, notre existence va continuer d’éprouver les fluctuations des jours, des situations, des moments, heureux ou malheureux. Un jour nous serons heureux et le lendemain inquiet de ce qui pourrait nous arriver.
Si nous éprouvons, si nous étreignons de tout notre corps, de tout notre cœur et de tout notre esprit chaque sensation émotion ou perception qui se présente à nous, alors nous sortons simplement de la dualité. Il n’y a pas une émotion bonne à conserver, à goûter, à préférer, ni une émotion mauvaise, à rejeter, craindre et repousser. Toutes sont éprouvées pleinement et parce qu’elles sont éprouvées pleinement, elles perdent leur caractère duel, c’est-à-dire qu’elles sont éprouvées également. De cette façon nous sommes prêts pour tout ce qui se présente, sans choix ni rejet. Nous exprimons comme un « oui » intérieur à ce qui peut survenir. Cet état simple signe la cessation de la souffrance. Nous incluons l’ensemble de ce qui peut survenir, il n’y a alors rien à quoi comparer, c’est l’indépendance et donc la Liberté.
Mercredi 4 mars 2015
Lorsque nous voyons un objet, nous avons l’habitude de considérer qu’il y a d’un côté un objet et de l’autre nous qui le voyons. C’est l’aspect relatif ou l’aspect duel de la réalité. Dualité signifie « deux » et relatif signifie relation c’est-à-dire une situation qui ne peut exister que s’il y a au moins deux objets, deux protagonistes.
La pratique tend à nous ouvrir à un autre aspect de la réalité. On pourrait dire que nous ne voyons la réalité que d’une seule façon et qu’il est difficile pour nous d’en envisager une autre. La seule réalité qui prévaut est celle que nous connaissons. Si nous nous mettons à chercher intellectuellement une autre construction de la réalité, nous ferons fausse route car ce n’est pas dans ce sens qu’il nous faut nous diriger. Ce sera toujours un nouvel objet et une nouvelle conception du monde, ce sera toujours un modèle dualiste. Il sera toujours une construction élaborée à partir d’une réflexion, d’une pensée.
Nous avons besoin de savoir et de comprendre de façon intellectuelle que notre rapport à la réalité n’est pas complet et nous avons ensuite besoin de mettre cette connaissance en pratique pour nous ouvrir à la perception de l’autre aspect de la réalité. La mise en pratique consiste à oublier totalement notre compréhension intellectuelle et à cesser d’alimenter nos constructions mentales, ou encore de les laisser filer comme des nuages dans le ciel.
La philosophie doit son existence à la question : « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Comment se fait-il qu’il y ait tous ces objets et à quoi doivent-ils leur existence ? A quoi devons-nous notre propre existence ? Mais poursuivre inlassablement notre réflexion en espérant trouver une réponse est un piège absurde car c’est considérer d’emblée le monde sous un seul aspect, celui qui consiste à penser qu’il y a quelque chose. La pratique questionne la réalité en demandant s’il y a véritablement quelque chose ou bien si ce quelque chose n’est pas le fruit de nos constructions mentales.
Les choses existent parce que nous avons tendance à les séparer de nous. Nous faisons de
nous et d’elles des entités séparées. C’est comme si la vague se séparait de l’eau en oubliant sa nature de vague. La pratique nous invite par l’expérience à ce que ces entités séparées
redeviennent nôtres. Par exemple si du bruit survient pendant notre pratique, peut-être ce bruit en dérangera t-il certains. Dans ce cas c’est parce que le bruit reste séparé de la personne qui
le perçoit. Parce qu’il est séparé, il est ceci ou cela, il acquiert des qualités et parce qu’il est censé avoir des qualités il demeure séparé. Nous ne pouvons sortir de cette ronde infernale.
Même chose si c’est un doux chant d’oiseau. Si nous sommes traversés par le bruit, qu’il n’est rien de spécial, qu’il ne dérange ni par l’attrait positif ni par le rejet notre attention, on peut
dire qu’il n’est plus séparé de nous, que nous sommes le bruit. Lorsque nous sommes le bruit, il n’y a ni nous ni bruit. Il n’y a aucun mot pour dire ce qu’il y a mais nous expérimentons l’autre
aspect de la réalité. Il n’y a ni quelque chose ni rien.
Mercredi 11 mars 2015
Si nous considérons avec attention notre fonctionnement ordinaire, nous prenons davantage conscience de la façon dont nous élaborons les actions que nous avons à mener. Nous commençons généralement par effectuer un choix en fonction de différents critères. Nous sélectionnons certaines choses à faire. Un critère peut être la contrainte ou au contraire la satisfaction. Il se peut que notre action soit menée différemment en fonction de ce critère. L’action à mener inclut en tous cas un but, une finalité que nous projetons dans un futur plus ou moins proche. C’est généralement cette finalité qui déclenche l’action. Elle la sous-tend et reste présente à l’esprit tant que l’action n’est pas terminée. Parfois une action devient pesante lorsque le but tarde à se montrer. L’action semble alors perdre de sons sens et nous éprouvons comme un malaise, un sentiment de déception.
Il se peut que ce fonctionnement s’introduise dans notre pratique. Nous sommes tellement habitués et rompus à ce fonctionnement que nous pourrions ne pas en prendre conscience si nous n’y regardons pas très attentivement. Lorsque nous sommes engagés dans une pratique quelle qu’elle soit, nous pouvons continuer de nourrir l’idée d’un but à atteindre. Nous pouvons nous dire « j’en suis loin » ou alors « j’ai progressé » ou au contraire « je n’y arriverai jamais ».
Abandonner toute idée de réalisation est en fait la vraie réalisation, lit-on dans les Enseignements. Nous devrions porter tout notre intérêt et notre curiosité vers cette expression. Elle rassemble à elle seule, elle concentre en elle-même l’essence de cette pratique, comme l’essence de toute spiritualité. Comment pouvons-nous mener une action sans la moindre volonté, sans le moindre désir de résultat ? Pour nous il se peut que cela dépasse notre entendement, que cela n’ait aucun sens.
Il nous faut un objet à penser, un objet à acquérir ou à finaliser, à remplir. Lorsque nous savons comme nous le disons souvent ici que la nécessité de cet objet tient à ce qu’il crée et nourrit la consistance de notre personne, nous voyons mieux que réaliser une action sans but efface du même coup le sentiment que nous avons de nous-mêmes.
Abandonner toute idée de réalisation, toute idée de but représente en fait un revirement total et donc une sorte d’abandon total de soi-même dans l’action.
Cet état d’esprit n’est pas si éloigné de nous-mêmes. Il est possible d’engager une action dans un but et d’éprouver pendant l’action, contre toute attente, une sensation pleine et entière pendant laquelle le but est totalement oublié. Cela arrive souvent en fait.
Il est donc important dans cette pratique, non pas d’essayer de se raisonner à trouver une posture de renoncement qui serait de toute façon erronée, mais d’actualiser pendant la pratique et aussi souvent que possible ce mouvement qui consiste à s’abandonner, à se laisser fondre dans chaque instant et dans chaque manifestation, à laisser se pratiquer l’ouverture, à s’oublier totalement.
Mercredi 18 mars 2015
Lorsque nous sommes assis et que nous sollicitons notre attention de façon particulière, que faisons-nous ? Quelle est ce type d’action qui ne correspond pas à celui que nous adoptons de façon spontanée ? En quoi diffère-t-il radicalement de notre attitude ordinaire ?
Généralement nous n’agissons pas pour l’action elle-même, nous agissons plutôt pour ce que l’action produit. Cela signifie que notre pensée est capable d’anticiper le produit que nous allons tirer de tel type d’action. On y retrouve toutes les colorations que nous pouvons échafauder en termes de qualités.
Lorsque nous nous asseyons pour pratiquer, que pratiquons-nous en fait ? A quelle sorte de pratique nous livrons-nous ? Avant d’oublier toutes les consignes il est important de les appliquer. Ces consignes nous invitent à ramener notre attention vers l’action elle-même. C’est-à-dire qu’au moment même où nous sommes prêts à entrer dans la pratique, nous passons d’une attitude qui consiste à nous projeter de l’avant vers une attitude qui focalise l’attention vers ce qui est là. Nous passons de ce que la pensée échafaude et projette en terme de « ce qui pourrait être » à une attention dirigée vers « ce qui est », ce qui est là maintenant. Si le système qui projette et échafaude des constructions mentales se tarit, si nous soutenons notre attention vers les repères corporels par exemple, alors la pratique est là.
En entretenant de façon permanente notre pensée, nous sommes rarement ici, dans le moment, pleinement. Nous sommes plus souvent ailleurs, là où nous emmène notre pensée et aussi autrement, autrement que ce qui est.
La pratique nous invite à être pleinement dans l’action. Lorsque nous sommes assis, nous sommes pleinement dans l’action de nous tenir auprès de ce qui est là. Toute notre vigilance est sollicitée de façon soutenue. Nous appliquons cette consigne et développons une capacité à être de plus en plus près de ce qui est là, comme pour nous y fondre, comme pour entrer en unité avec ce qui se manifeste au présent. L’attention n’est pas conceptuelle, elle transmet des informations simples et basiques qui sont ensuite traitées en termes de reconnaissance. En nous tenant au plus près des manifestations, nous sommes au cœur d’informations sans caractère particulier, de sensations, de perceptions, d’émotions parfois, vécues comme l’expression d’une énergie qui circule librement au cœur du vivant. Ce vivant que nous sommes, dont nous somme une des formes d’expression.
En nous asseyant sur nos coussins, en plongeant de toute notre énergie dans une
attention à ce qui est là, nous pouvons entrer pleinement dans notre existence, c’est-à-dire qu’au cœur de la forme que nous sommes, nous pouvons retrouver la présence du Vivant en
nous.
Journée de Pratique du Samedi 21 mars 2015
1ère séance
Lorsque nous abordons la pratique pour la première fois, nous sommes neufs, nous n’en connaissons rien et nous nous asseyons avec un esprit ouvert et prêt à ce qui peut se présenter. Nous sommes dans l’état d’esprit que Suzuki appelle « esprit pur ». Esprit pur est à entendre comme esprit libre ou sans préjugé. Il entend par là « esprit de débutant ». L’esprit de débutant est un esprit vide et ouvert. Il n’est pas vide ou ouvert par conformisme ou par idéologie. Il n’est pas marqué par l’empreinte de l’idéologie ou de la pensée, il est ouvert presque malgré lui, par ignorance.
Ignorance est équivalent de « ne pas savoir ». Dans notre culture, nous sommes respectés lorsque notre savoir est important. Il y a les universités où l’on apprend beaucoup de choses importantes et ensuite on peut espérer occuper une situation confortable, recevoir de la reconnaissance de la société.
Dans cette pratique à laquelle nous nous adonnons, le terme d’ignorance n’a pas la même signification et peut être entendu comme la racine de la souffrance. C’est parce que le savoir que l’on apprend dans les universités ne nous conduit pas au bonheur. Une personne très savante peut être en même temps très malheureuse, comme cette jeune doctorante qui se suicida juste après l’obtention de sa thèse. Une personne très savante peut aussi trouver le bonheur lorsqu’elle réalise de quoi elle est fondamentalement ignorante.
Ce n’est pas la compréhension des choses ni de cette pratique qui ouvre notre chemin de souffrance vers la libération, c’est le fait de réaliser la nature de notre ignorance.
Dans ce sens il est impossible de comprendre cette pratique, de la saisir conceptuellement comme un objet de connaissance dont on dit « ça y est, j’ai compris ».
Le plus difficile est donc de conserver notre esprit neuf. Il se peut que notre incompréhension nous pèse et nous lasse et que nous renoncions par incompréhension. Revenons à notre esprit de débutant, soyons totalement ignorant de ce que nous faisons et pourquoi nous le faisons. Plongeons nous l’esprit vide et ouvert au cœur de nous-mêmes, sans attente, ou plutôt dans une intense attente sans objet, une attente qui ne se fixe sur rien, qui laisse passer les mouvements de l’esprit qui va au-delà du par-delà.
2ème séance
Lorsque nous sommes installés dans la pratique assise, nous laissons le flot des mouvements de l’esprit suivre son cours, comme une rivière qui s’écoule, tantôt calme et limpide, tantôt tumultueuse et agitée. Si quelque chose se présente à notre esprit, nous le laissons entrer et nous le laissons sortir. Il se peut que nous ayons l’impression qu’un objet vienne de l’extérieur et entre dans notre esprit, perturbe notre méditation. Nous sommes encore dans une dualité sujet/objet, intérieur/extérieur. Nous pensons que les objets existent en dehors de nous. Nous pensons. Penser que les objets existent en dehors de nous cause de la souffrance. C’est la cause de notre souffrance et c’est la cause de notre perturbation.
La compréhension juste, dit Suzuki, c’est que l’esprit embrasse tout. Nous pensons que quelque chose existe ou vient de l’extérieur mais en fait cela signifie que quelque chose apparaît simplement dans notre esprit. Nous produisons nous-mêmes les ondes de notre esprit. Si l’esprit n’est relié à rien de spécial, si chaque manifestation apparaît et disparaît librement, sans identification à quoi que ce soit, sans saisie, c’est l’expression de l’Esprit vaste qui fait l’expérience de tout en lui-même. Tout ce que nous semblons expérimenter est en fait l’expression et l’expérimentation de l’Esprit vaste. Nisargadatha fait écho en disant que nous sommes cela même que nous cherchons. La pratique est l’expérimentation/réalisation de l’esprit Vaste.
3eme séance
Nous devons faire un certain type d’effort et le maintenir jusqu’au moment où tout effort disparaît.
En prenant place sur nos coussins, nous nous situons au niveau de la personne. Nous partons de la personne que nous sommes et cette personne porte des souhaits et des espérances sur sa vie intérieure, sur ses sentiments, sur sa souffrance. C’est avec tout cela que nous pratiquons.
Lorsque nous sommes heureux ou malheureux, nous en connaissons parfois la cause. Nous en situons la raison dans un objet extérieur. Si nous sommes heureux en présence de cet objet, sa disparition causera notre chagrin, ce sera l’inverse pour un objet haï ou craint.
Même si nous savons que nous pouvons être amenés à transformer notre attitude vis-à-vis des objets, nous n’en sommes pas à remettre en question leur existence propre. Remettre en question leur existence ne signifie pas remplacer « ils existent » par « ils n’existent pas ». Cela signifie appréhender autrement leur existence au sens de l’interdépendance.
La pratique ne peut nous amener à une transformation qui consiste à entrevoir autrement les situations que nous vivons. Nous pourrions par exemple « relativiser » telle expérience difficile et « prendre du recul ». Même si cela survient parfois par les effets de la pratique, il s’agit en fait d’une sorte de bénéfice secondaire éphémère.
La pratique nous invite à partir de ce que nous sommes, à partir des éléments qui
constituent notre motivation et à les éprouver de façon directe. Cela revient à partir de la dualité avec un esprit dualiste, partir de la personne à qui les espérances donnent l’énergie
d’effectuer un effort, jusqu’à la l’unité où personne et effort se fondent dans l’expérience vaste, où esprit limité et esprit vaste se confondent. Etre dans l’effort jusqu’au moment où tout
effort disparaît.
Mercredi 25 mars 2015
Un aspect de la réalité est que nous avons besoin de nous constituer au cours de notre existence, comme des individus. Nous voyons toutes les pathologies liées aux problèmes de défaut d’individuation. Cela semble donc nécessaire. Se constituer en tant qu’individu implique que nous fabriquons une représentation de nous-mêmes. Nous nous représentons en tant que personne distincte et autonome, indépendante des autres personnes, avec ses goûts, ses aversions propres, etc. Je suis une personne et la personne que je suis éprouve parfois un sentiment de bien-être mais aussi parfois de la souffrance.
Se représenter comme une personne nous amène naturellement à penser être une personne, être untel ou unetelle, c’est tout. Penser être une personne est-il être véritablement une personne, au sens de n’être que cela ? C’est une question importante à laquelle nous devons réfléchir. Et nous devons aussi réfléchir aux liens possibles entre se penser en tant que personne autonome et indépendante et séparée et la notion de souffrance. Le sentiment de bien-être ne parvient jamais à recouvrir complètement la souffrance, le manque, l’incomplétude de la personne séparée qui se trouve en arrière-plan. Bien que nous portions notre regard et nos espérances vers un horizon que nous voulons plein de de promesses et de possibles, bien que celui-ci nous laisse entrevoir du meilleur, de la résolution, une certaine sérénité, bien qu’il y ait là-bas devant MOI comme quelque chose à être, quelque chose qui n’est pas encore mais qui est à trouver et qui m’aide à avancer, JE ne trouve pas ce bonheur et cette paix intérieure que JE souhaite ardemment.
Un autre aspect de cette même réalité est l’apparition, la manifestation de « quelque chose », comme une forme, une forme en apparence séparée, une forme capable d’éprouver (des sensations, des perceptions) et capable de s’éprouver (comme une personne, un individu). Il y a une multitude de formes autour et partout, des créatures vivantes qui semblent également éprouver (animaux) ou ne pas éprouver arbres, rochers). Il semble qu’il y ait avec ces formes, des possibilités de rencontre infinies et dans ces rencontre infinies une infinité d’impressions, de sensations, de perceptions possibles, d’émotions.
Toutes ces manifestations semblent générer et développer dans cette forme qui est là et qui s’éprouve, des élaborations complexes que cette forme est capable de classer, de qualifier, de questionner. ll semble que ces élaborations la mettent en difficulté par rapport à sa propre nature, comme si elles l’éloignaient de l’origine, de la source qui lui a donné naissance. La forme que nous sommes, telle la vague de l’océan, semblerait souffrir de son incapacité à vivre véritablement sa nature d’eau, d’océan. Cette nature originelle serait maintenant voilée, opacifiée, par la pensée, par l’élaboration qui donne naissance à l’individu.
Ces deux formes de réalité sont présentes dans la pratique, elles sont indissociables.
La première est celle que nous connaissons le mieux, nous la vivons. La seconde est celle que nous nous proposons de rencontrer, de retrouver, de recontacter en nous. Cela est possible en
revenant à notre corps, au ressenti de notre forme, de nos perceptions, de nos sensations. Peu à peu nous pouvons vivre tous ces phénomènes comme l’expression même de ce qui nous a donné forme.
Le multiple, la diversité, l’infinie apparition et disparition des formes avec tout ce qu’elle exprime est l’expression même de l’unité. En cela, la pratique est l’expérimentation/réalisation de
l’Esprit Vaste.
Mercredi 01 avril 2015
Lorsque nous sommes installés sur notre coussin, nous quittons toute activité spéculative, c’est-à-dire que nous abandonnons toute intention, toute volition. En amont, c’est bien notre volonté qui nous a amené sur notre coussin en vue d’un changement personnel. Mais au moment où nous nous asseyons sur notre coussin, nous sommes déjà arrivés.
Ainsi, nous continuons de nous livrer à une activité et nous sommes déterminés mais notre disposition d’esprit est vide et ouverte à ce qui se présente. Nous sommes les observateurs/acteurs de la grande activité de l’Esprit. Dans cette activité, toutes les choses ont la même valeur et rien n’est préférable à autre chose. Ainsi les choses passent et changent sans cesse sans que rien ne les retienne par choix ou par rejet. L’activité cosmique comporte des évènements redoutables et effrayants lorsque nous les observons. Mais en même temps ces manifestations terribles donnent naissance à la Vie jusqu’à développer une conscience qui s’exprime en nous. Les notions de Violence ou de douceur, bien que présentes à notre observation sont cependant absents du cosmos. Ce sont des manifestations qui expriment l’activité de l’univers tout comme en nous s’exprime cette même activité. Nous avons raison de nous protéger de la violence et de rechercher la douceur, d’attribuer une valeur moindre à la violence et une grande valeur à la douceur, mais si nous pensons uniquement de cette façon, nous demeurons éloignés de la réalité. Nous n’en voyons qu’un seul aspect qui nous emprisonne. Nous nous en tenons à l’aspect relatif. Lorsque nous prenons place dans notre pratique, nous nous ouvrons à l’aspect fondamental de la réalité. Nous cessons d’attribuer des valeurs aux manifestations que nous observons. S’asseoir sur notre coussin en abandonnant toute spéculation, c’est s’asseoir en cessant d’attribuer des valeurs, en cessant de spéculer sur les phénomènes présents en nous et hors de nous. Sinon nous demeurons enfermés dans la prison de laquelle nous cherchons à sortir. Les clés de cette prison son notre esprit même, celui qui choisit, juge, évalue, aime, craint, etc.
Il est donc important pendant la pratique de prendre conscience de notre attitude
ordinaire relative, qui associe des valeurs aux perceptions et aux phénomènes en général. Pendant la pratique nous commençons par cet effort qui consiste à ne se fixer sur rien, en restant
présent à la posture, à la verticalité du tronc, à l’ensemble de l’unité du corps. S’établir complètement en soi dans l’unité corps/esprit, dans l’unité corps/esprit vivant, s’exprimant tel qu’il
s’exprime.
Mercredi 08 avril 2015
Page à récupérer à notes diverses (hôpital) sur clé USB.
Mercredi 15 avril 2015
Pendant la pratique, nous sommes tout à fait conscients. Nous devons prendre garde au fil de notre pratique à ne pas nous enliser dans la routine. Nous sommes coutumiers de ce genre de piège. Nous sommes attirés par un nouvel objet, puis peu à peu, parfois sans vraiment le voir, nous nous lassons, nous passons à autre chose. Nous risquons de perdre l’esprit juste, l’esprit acéré, l’esprit affûté, aiguisé comme une épée capable de trancher la saisie de la part de l’ego. La pratique n’est pas un nouvel objet, la pratique est une épée à la lame acérée. Lorsque nous demeurons complètement vigilants, nous devenons cette pratique elle-même. Nous sommes cette épée acérée. Il n’y a alors plus nous d’un côté et la pratique de l’autre, il y a ce qui est. Il y a unité, plus de nous, plus de pratique, seulement Un.
Nous demeurons donc « tendus vers..» au sens de « déployés vers.. », comme une personne aux aguets. Nous sommes présents dans tout notre corps, jambes, tronc, tête, bras, mains. Nous sommes présents à l’énergie que nous déployons dans notre verticalité, à l’étirement de notre tronc vers le ciel, comme une plante qui « tend » vers la lumière du vaste ciel. Nous sommes de cette façon dans un effort, une tension juste que nous soutenons d’instant en instant. Toute notre attention est rassemblée, monopolisée. Nous sommes de la même façon totalement réceptifs à notre respiration, aux perceptions et aux sensations qui se manifestent sans discontinuer. Ainsi tout le corps, la respiration, les manifestations, tout cet ensemble se fond dans l’activité de l’Esprit vaste, apparaît comme l’expression de l’Esprit vaste lui-même.
Lorsque nous disons Je, nous pensons représenter une entité à part, distincte et séparée des autres objets qui peuplent le monde. Cela est une partie seulement de notre réalité. Je est en fait le monde lui-même, les objets et nous qui les voyons comme distincts. IL y a séparation et non séparation. Il y a séparation et multiple et en même temps indivision et unicité.
De même que moment présent. Moment présent apparaît comme séparé des autres moments qui
ne le seraient pas. Il serait un moment à part que nous pourrions rechercher. Mais si nous sommes totalement un avec tout ce qui est là, le moment est là aussi. Ce moment n’est pas un objet, une
sensation à rechercher. Ce n’est pas un moment au sens relatif, il est l’expression de l’Esprit vaste lui-même qui inclut l’espace et aussi le temps. Aucun moment présent ne peut exister pour
personne. Il est à la fois inexistant au sens relatif et il y a seulement cela dans le sens fondamental. Je est l’expression de l’instant présent. Comme l’exprime Ramana Maharshi, il y a à
réaliser « je suis ».
Mercredi 22 avril 2015
Notre vie est occupée par une foule de choses importantes. Comment pouvons-nous réaliser ceci ou cela ? Comment pouvons-nous avancer et résoudre les problèmes qui nous encombrent, faire en sorte que ce qui nous dérange, fait obstacle, se résolve, disparaisse, s’éloigne. Nous aimerions bien savoir comment nous y prendre, quoi faire pour que notre vie change et devienne joyeuse. Au fond, peut-être que s’intéresser aux détails de la posture, à la précision de la concentration, à la façon d’entrer dans le dojo, peut-être que tout cela n’a guère d’importance. Ce sont là des détails moindres.
Pourtant ce sont là des actes qui marquent, qui occupent, qui forment aussi la matière de notre vie. Si nous y regardons de plus près, peut-être verrons-nous que ce classement hiérarchique que nous faisons de façon tellement automatique est à questionner. Peut-être nous faut-il éclairer précisément les plus petits et les plus insignifiants de nos actes, ceux qui semblent bien contenir le moins d’intérêt à nos yeux.
Nous devons reconsidérer de façon très approfondie la notion d’attention. Nous devons l’examiner de très près comme si nous admettions que nous ne savons pas ce que c’est. La pratique peut être bénéfique pour nous tant que nous admettons que nous ne savons pas ce qu’est l’attention. Nous devons nous demander par exemple si l’attention que nous accordons à tout ce qui paraît important dans notre vie ordinaire est juste. En tous cas reconsidérer le degré d’importance dont nous investissons cela. De la même façon, nous pouvons aussi nous demander si le degré d’attention que nous accordons à certaines choses secondaires ne doit pas être reconsidéré.
La pratique est là pour nous aider à réaliser cela. La pratique ne commence pas lorsque nous nous asseyons sur nos coussins. En fait elle ne commence ni ne finit mais si nous nous accordons pour dire qu’elle commence ici le mercredi soir, alors déjà nous pourrions déjà nous y rendre en reconsidérant notre rapport aux éléments autour de nous. C’est là que nous pouvons commencer à observer certaines choses que nous négligeons habituellement. Nous prenons place dans notre voiture, nous refermons la porte. Nous conduisons, etc. Lorsque nous arrivons, nous prenons un temps dans la pièce en continuant d’observer ce qui se déroule en nous et autour de nous. Lorsque sommes assis et que les conditions d’une bonne attention sont totalement requises, c’est encore le moment d’exercer la profondeur de notre attention en nous portant sur des éléments que nous acceptons de ne plus soumettre à notre jugement. Cela signifie que nous pouvons encore descendre dans une qualité d’attention qui exclut toute pensée. A ce stade nous pouvons nous tenir dans les moindres détails de notre posture, comme si cela était de la plus extrême importance.
Il y a des histoires qui peuvent paraître absurdes à certains profanes et qui nous éclairent pourtant sur l’importance de cette question d’attention et sa relation avec notre jugement, notre résistance. Il y a par exemple celle de ce disciple désirant pratiquer avec ferveur et que le maître revoie chez lui en lui demandant de marcher chaque jour sur une ligne droite. Ce travail accompli, le maître lui confie une tâche tout aussi absurde. Jusqu’à ce qu’il le reçoive pour lui expliquer qu’il n’est plus nécessaire qu’il lui donne son enseignement.
Nous devons véritablement utiliser le temps de pratique pour approfondir ces questions.
Mercredi 29 avril 2015
Nous possédons naturellement un esprit curieux, intéressé, neuf, un esprit d’éveil. La curiosité peut être un moteur très positif à la pratique de la méditation. En effet nos pensées, nos schémas mentaux, ont la plupart du temps l’inconvénient de nous éloigner de ce qui se passe véritablement et de nous installer dans un cycle de répétitions. D’un autre côté elles peuvent aussi nous inviter à nous questionner sur leur nature, sur ce qu’elles occultent, et finalement sur la nature véritable de ce que nous éprouvons ou observons. De là peut apparaître une certaine curiosité qui aurait pour finalité de rompre ce cercle répétitif.
Cette curiosité serait alors brute, sans élaboration et sans préjugés. On se contenterait de remarquer ce qui se passe, un peu comme une enquête, comme quelqu’un qui observe et note. IL s’agit de tourner notre attention sur les expériences immédiates, sans le filtre de l’interprétation ou même de la reconnaissance. On reçoit certaines perceptions sonores, sans leur adjuger un nom ou quoi que ce soit, on perçoit certaines sensations corporelles sans les qualifier. D’habitude les sensations ou perceptions déclenchent, sans même que l’on en prenne conscience, des associations de noms ou autres qualités qui sont déjà des pensées. Ces pensées s’associent bientôt à d’autres et nous voilà sortis de l’observation. C’est là ce qui se passe habituellement pendant la pratique assise et c’est ce qui se passe généralement de façon décuplée dans notre vie quotidienne.
A un certain niveau, les pensées forment une boucle plus ou moins automatique et il est difficile d’en sortir. C’est parce qu’elles servent à renforcer notre sentiment d’existence et nous confortent dans ce que nous pensons de nous-mêmes. Elles expriment l’image, les caractères de la façon dont nous nous définissons.
Apprendre à se connaître par la pratique ne consiste donc pas à élaborer une théorie sur les relations entre les causes et les effets qui ont abouti à ce que nous sommes, mais à observer à la base le fonctionnement des sens à partir desquels se fabriquent les réseaux conceptuels. Cette observation à la base revient à s’oublier dans notre fonctionnement habituel et ordinaire pour découvrir la relation véritable à ce qui est. Ce qui est n’est alors plus filtré, déformé, transformé, interprété, par une entité qui pense. De là peut naître une ouverture nouvelle à ce qui constitue les évènements de notre vie. D’un côté les pensées nous entraînaient vers « c’est toujours sur moi que ça tombe », de l’autre il y a simplement l’expérience de ce qui de produit, sans lien avec du passé, du vécu. D’un côté le conditionnement, de l’autre la liberté.
Voici un poème de Maître Ryokan :
« Partout où je vais je suis chez moi
Ce n’est pas différent du mont Sung de Bodhidharma
Chevauchant les changements qu’apporte chaque nouvelle journée
Je passe les années de ma vie dans le calme et la liberté».